Samuel PELRAS (avatar)

Samuel PELRAS

professeur de philosophie en CPGE, essayiste.

Abonné·e de Mediapart

17 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 octobre 2011

Samuel PELRAS (avatar)

Samuel PELRAS

professeur de philosophie en CPGE, essayiste.

Abonné·e de Mediapart

Planète, Terre, Environnement: à quel saint se vouer?

Samuel PELRAS (avatar)

Samuel PELRAS

professeur de philosophie en CPGE, essayiste.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La notion d’environnement ne prend une dimension écologique dans la langue française que dans les années 1960. Comme le souligne le Dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey, il correspond à « l’ensemble des conditions naturelles et culturelles susceptibles d’agir sur les organismes vivants et les activités humaines. » Par ce terme, les hommes désignent leur cadre de vie, issu de l’hybridation entre le naturel et l’artificiel (résultat de l’activité humaine). L’avantage de la notion d’environnement est qu’elle renvoie d’emblée à une nature modifiée par l’homme. Elle nous sort de l’illusion d’une nature sauvage, primitive, qu’il faudrait préserver dans son éternelle harmonie. Non seulement cette harmonie est illusoire, mais de surcroît les hommes contribuent à façonner le milieu dans lequel ils s’insèrent. Les hommes se sont toujours souciés de leur cadre de vie, de leur milieu comme espace de leur survie. Mais la notion contemporaine d’environnement ne se réduit pas à ce sens large de cadre de vie. Elle en est une forme considérablement édulcorée. Elle repose, d’une part, sur une conception de l’espace fortement anthropocentrique qui situe l’homme face à ce qui l’environne. L’homme n’est plus dans une nature qui le dépasse. Il est un sujet, prétendument souverain, qui doit prendre en charge le milieu dans lequel il évolue pour espérer survivre. Cette notion s’inscrit dans le prolongement de la représentation moderne de la nature, précédemment évoquée, qui rend possible son instrumentalisation. La notion d’environnement est donc en quelque sorte le symptôme d’un rapport catastrophique de l’homme à son milieu.

L’idée d’une « planète » à protéger partage, jusqu’à un certain point, les affres de la notion d’environnement. Elle est beaucoup trop générale et englobante. Elle déborde le cadre de la biosphère pour désigner la Terre dans sa dimension géologique. Ce point de vue peut difficilement motiver un souci écologique. Même si les hommes éradiquent la totalité des formes de vie sur la planète, eux-mêmes compris, « la Terre n’arrêtera pas de tourner ». Demander à l’homme de « faire un geste pour la planète » paraît complètement absurde et délirant. Si le vivant dépend dans une certaine mesure de nous, la planète n’a que faire de nos ambitions prométhéennes. Le passage de « la nature » à « la planète » dans le discours écologique est néanmoins riche d’enseignements. Il témoigne à juste titre de l’échelle où se situent les problèmes écologiques. Comme on le dit volontiers, le réchauffement climatique ou la pollution n’ont pas de frontières. La question écologique émerge comme problématique mondiale avec la généralisation du mode de vie occidental. Processus mortifère puisqu’il faudrait plusieurs planètes pour supporter nos exigences de consommation. Tout comme la planète, les matières premières nécessaires à notre mode de vie sont limitées en quantité. La société industrielle s’est bâtie sur des énergies fossiles (charbon, pétrole, uranium, gaz) dont les stocks sont finis et dont la consommation est irréversible.

Peut-être l’écologie politique devrait-elle commencer par pratiquer, conceptuellement, la sobriété pratique qu’elle appelle de ses vœux ? Dans cette optique, une écologie enracinée sur la terre « en minuscule » aurait au moins le privilège de l’humilité. Comment penser notre insertion dans la planète sans l’ancrage particulier dans un territoire ? Ne reste alors qu’à retrousser nos manches, quitter les hautes sphères du concept, pour se coltiner à un milieu donné, aux différentes espèces qui y vivent, et y chercher une autonomie alimentaire pérenne. C’est la position de Pierre Rabhi, venu au discours écologique après des années de pratiques agraires respectueuses de son milieu de vie ardéchois. « Mon parcours personnel explique ma démarche et le regard que je porte sur la terre et sur mon semblable », indique-t-il dans le préambule de son Manifeste pour la terre et pour l’humanisme (2008). Contrairement à la Planète ou à la Nature, qui peuvent être le support de toutes les représentations les plus fantasques, la « terre » ne ment pas. Elle incarne ce principe de réalité que redécouvrent tous les citadins en mal de nourriture saine, lorsqu’ils s’essayent à leur premier potager… Comme le suggère le titre du documentaire de Coline Serreau, les solutions ne peuvent être que « locales » pour faire face au « désordre global ». Cette terre (en minuscule) n’a bien sûr rien à voir avec toutes les dérives patriotiques et nationalistes de l’attachement à la terre. Elle ne désigne pas le support d’une identité naturelle inscrite dans le sang, mais un milieu de vie spécifique, à l’équilibre précaire, qu’il faut comprendre pour mieux s’y insérer. Marais, forêt, montagne, lande, etc. autant de biotopes qui témoignent de la diversité de la terre et impliquent des pratiques différentes. Ainsi l’écolo « terrien » est assimilable à la figure du « paysan » incarnée par P. Rabhi ou celle du « chasseur-cueilleur » mise en exergue par Aldo Leopold. Le chasseur, pour parvenir à tuer sa proie, doit en connaître les habitudes, savoir anticiper ses déplacements, ne pas se faire remarquer d’elle. La défense de la nature devrait laisser place à la mise en œuvre d’une agro-écologie adaptée aux diverses zones de peuplement pour combattre les différentes crises contemporaines : alimentaire, sanitaire, climatique, etc. Bref, « cultivons notre jardin ! ». Formule d’une simplicité désarmante, empruntée au Candide de Voltaire. Et pourtant, elle débouche sur une multiplicité de problèmes dont les solutions pourraient emporter avec elles notre modèle de société. Elle nous conduit à interroger notre rapport à la satisfaction de nos besoins (ainsi que leur définition), notre rapport à la propriété (de la terre justement) et notre façon de concevoir la division du travail. Si tant est que le « retour à la terre » soit désirable, il n’est pas matériellement praticable en l’état, faute de terres accessibles et de compétences. « L’insurrection des consciences », que Pierre Rabhi appelle de ses vœux, pourrait renverser à terme les structures socio-politiques à l’origine du désastre écologique dans lequel nous nous trouvons.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.