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Billet de blog 20 septembre 2011

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En finir avec la Nature? (1)

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On aimerait que la vision « grecque » de la nature soit unifiée et enveloppante, à l’aune du « cosmos », cette belle totalité dans laquelle ils inscrivent la Cité, microcosme dans le macrocosme. L’écologie se définirait alors comme la recherche d’une satisfaction harmonieuse de ses besoins dans un monde qui réserve à l’homme une place bien définie, l’enveloppe et le limite. (Mal)heureusement, il n’en est rien. Il ne faut pas attendre la modernité pour sortir de la « belle totalité » grecque. En premier lieu, le désordre paraît inhérent au réel. Dans la Théogonie d’Hésiode par exemple, le chaos (la faille ou abîme) est présent dès l’origine. Il nous rappelle à l’instabilité générale de l’être, à l’impermanence de toute chose. Notre réalité est bâtie sur un chaos primordial. De même, dans la cosmogonie platonicienne, exposée dans le Timée, le démiurge fait face à une matière informe (chora) qui lui préexiste et dont le cosmos conserve la mémoire. Le mythe des « cycles inversés » du Politique présente d’ailleurs un monde livré à une alternance d’ordre et de désordre. Lorsque les dieux abandonnent notre monde, il se dégrade progressivement, oubliant la finalité qui lui a été assignée. Non seulement la nature n’existe pas en fonction des hommes, mais elle est également soumise à des dérèglements qui interdisent de la prendre pour modèle, sauf à tomber dans une théologie naturelle qui ignore sciemment ces bouleversements.

Comme le rappellent Catherine et Raphaël Larrère, dans Du bon usage de la nature, il est difficile de parler d’une représentation grecque de la nature. Une première opposition structure leurs approches de la nature, celle entre hasard et finalité. Certains, à l’instar de Démocrite et Epicure, considèrent l’univers comme illimité, composé d’une multiplicité de mondes, soumis aux hasards et nécessités qui régissent l’interaction des atomes. Pour d’autres, Platon et Aristote notamment (mais dans un sens différent), le monde est fini, suit un développement réglé par une fin (externe ou interne). Dès lors, l’intérêt pour le cosmos diffère en fonction des représentations de celui-ci. Dans les deux cas, les normes de vie éthique ne sont pas radicalement étrangères à l’observation de la nature. Ainsi, pour les épicuriens, la bonne connaissance des lois qui régissent les réalités physiques a une vertu thérapeutique. Elle nous libère de craintes illusoires (les dieux et la mort) et de désirs artificiels (ceux qui reconduisent le manque qu’ils prétendent combler : la quête de l’argent, du pouvoir, de l’honneur). Mais la nature ne prescrit pas, par elle-même, les règles du mieux-vivre. Dans une perspective différente, mais qui maintient une relation entre physique et lois humaines (phusis et nomos), Platon établit une analogie entre la Cité et le Cosmos : tous deux sont composés de parties distinctes soumises à la direction d’une âme, d’une intention ayant présidé à leur production. Malgré l’opposition entre hasard et finalité, la nature demeure tout de même un référent pour penser les règles de l’action humaine.

Mais les « Grecs » ont aussi expérimenté et réfléchi une rupture plus grande entre nomos et phusis, entre la cité et la nature. L’avènement de la démocratie, à la charnière des VIème et Vème siècle à Athènes, témoigne d’une autonomisation des lois humaines à l’égard de tout référent normatif extérieur à elles (la Nature ou les dieux). Les hommes se pensent comme les seuls auteurs des lois auxquelles ils se soumettent. Ils deviennent la « mesure de toute chose », pour reprendre la formule du sophiste Protagoras.

On ne peut donc pas faire des Grecs les pionniers de l’écologie. Leur vision de la nature est loin d’être univoque et ils ne pensent pas de la même manière les liens entre celle-ci et l’homme. L’unité problématique de l’idée de nature traverse l’histoire de nos représentations et se poursuit jusqu’à nos jours. On ne sait pas vraiment ce que ce terme recouvre. Pour protéger la nature, encore faudrait-il que nous en ayons une conception commune.

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