Habituellement plus silencieux que leurs voisins de l’université d’arts & lettres Paul Valéry, les mobilisé·es de l’UM rappellent que l’enseignement et la recherche scientifique sont en première ligne face aux crises actuelles – écologie, justice sociale, financement de la recherche … la liste est longue. Rencontre avec celles et ceux qui actent dès à présent une révolte puissante et lucide.
Fraîchement restaurée, rebâtie, étendue, la faculté des sciences de l’Université de Montpellier – rebaptisée « UM » en 2015, a le visage de ces nouvelles technopôles « vertes », chéries par la start-up nation. L’établissement figure même parmi les 200 meilleures universités au monde, selon le classement de Shangai 2022. Cafétérias modernes, bâtiments en béton nu d’inspiration brutaliste et jardinets fleuris, quelques skateurs ont même profité du blocage pour investir les lieux. Sous le soleil montpelliérain, le tableau est presque parfait.
Pourtant, l’idylle s’arrête là. Ici, peu sont celles et ceux parmi les étudiant.es qui croient à des débouchés professionnels stables et sereins. Au fil des discussions lors de la rencontre interprofessionnelle, force est de constater qu’enseignant·es comme élèves en ont gros. Le doute n’est plus permis : la recherche française est bel et bien en crise, et ce depuis longtemps, comme l’indique Julien Morin, maître de conférences en astrophysique au laboratoire Univers et Particules de Montpellier :
On commence à demander aux étudiants qui viennent de l’extérieur de l’UE des frais de plusieurs milliers d’euros, on commence aussi à
demander des frais élevés pour les étudiants en école d’ingénieur […] Si on veut aller jusqu’au bout de l’absurdité, on peut regarder ce qu’il se passe au États-Unis où les coûts des diplômes peuvent être de plusieurs dizaines de milliers de dollars par an […] on y favorise explicitement la reproduction sociale : à Harvard, vous avez des points supplémentaires si vos parents y ont déjà été élèves. En France, bien-sûr, on n’en est pas encore là mais quand on voit les sources d’inspiration du gouvernement, on sait qu’il faut commencer à vite se prémunir de ce genre de phénomène.
L’augmentation des frais d’inscriptions est en quelque sorte le péché originel des politiques ultra-libérales, lorsqu’elles s’essayent à la gestion des universités. Difficile pour les étudiant·es de bien saisir les justifications avancées par les différent·es ministres de la recherche. Certes, les locaux sont neufs, mais le problème de l’accès aux études supérieures reste entier. Par ailleurs, la question de la reproduction sociale avancée par le chercheur Julien Morin est aussi dans toutes les têtes. Beaucoup d’élèves rencontré·es pendant la journée discernent bien la menace pour les générations futures.

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Les gouvernements successifs ont agis stratégiquement au coup par coup : baisses des bourses étudiantes, complications des inscriptions via les plateformes Parcoursup ou MonMaster, augmentations des frais d’inscription etc … in fine, les français·es comme les étudiant·es international.aux verront peut-être la fac ne s’ouvrir qu’aux plus aisé·es, avec des professeur.es issus du secteur privé et, en bruit de fond, une mentalité proche du monde industriel et des écoles, avec un modèle pédagogique aux ordres - c’est bien là qu’est le danger.
Ainsi, bien au-delà des revendications pour les retraites, on sent chez les étudiant·es comme dans le personnel, une réelle envie de préserver un modèle d’enseignement sain, accessible à tous et vierge des influences politiques ou mercantilistes, qui gangrènent déjà certains établissements privés, J. Morin, sur ce sujet, poursuit: « on fait notre métier parce que c’est un métier de service publique ; c’est bien aussi que les enfants de prolos [sic], comme moi, puissent continuer d’avoir accès aux meilleures études.»
Les revendications formulées par l’enseignant chercheur et discutées par les élèves rejoignent celles de la majorité des étudiant·es des autres université (et, plus généralement des jeunes) ; mais, à l’heure de la présentation du 6e rapport d’évaluation du GIEC (mars 2023), beaucoup s’engagent aussi bien pour l’environnement et le climat que pour les luttes sociales nationales – pour eux, ce sont des luttes complémentaires. Là est peut-être toute la spécificité de cette « mobilisation scientifique ».
Mais alors pourquoi encore un tel silence (notamment médiatique) sur cette mobilisation des chercheur·euses ? Pourquoi la communauté scientifique n’est-elle pas aussi audible dans les mobilisations sociales et environnementales que l’on s’y attendrait ? Pour V., lui aussi enseignant-chercheur, la réponse se trouve dans le manque de politisation, de « militantisation » des milieux scientifiques :
Je pense que dans le champ scientifique il y a un grand phénomène de naïveté politique, qui est assez confondante ... qui est de l’ordre du « si je fais bien mon travail, les politiques vont s’en emparer et vont régler les problèmes » – ce problème, selon moi, ça vient directement de la formation des chercheurs [... ] s’ils continuent de se former et de faire leur boulot comme ça, ils gagneront de l’argent, mais dans 10 ou 15 ans ils ne pourront plus se regarder dans une glace.
Pour lui, lesdits scientifiques sont habitués à trouver des solutions nettes et claires à des équations tout aussi claires, tout aussi nettes. La formation des jeunes est aujourd’hui pour beaucoup un bourrage de crâne méthodologique, arc-boutée sur des processus rigides et particulièrement inadaptés à la création de réflexions plus nuancées et plus poussées, qui seraient pourtant vitales aux sciences, mais surtout à la politique au sens large.
Il se dessine, au fil des dialogues et des prises de parole, le sentiment que les seuls réels acteurs de changements sont les associations et les collectifs. A l’opposé des enseignements qui sont, eux, très largement en retard sur les questions environnementales : « Le seul truc qui fait vivre le militantisme et l’envie de changement, chez les jeunes comme ailleurs, c’est les associations ! C’est pas les institutions ! Et à côté d’une université, d’une grande entreprise etc … on sait que les associations ont beaucoup moins de force. » rappelle G, étudiant en écologie. Pour lui, l’initiative vient surtout de bénévoles, de citoyen.nes qui s’engagent – mais ce phénomène d’engagement des citoyen.nes est sans commune mesure avec les enjeux.
A, étudiante en océanographie se pose, quant à elle, la question de la sacro-sainte neutralité scientifique, point clés, selon elle, pour faire évoluer les formations et les perceptions : « c’est très dur de désintriquer les dégâts sociaux et les dégâts écologiques que la société provoque, et encore plus dur de se dire que, en tant que chercheuse, tu dois rester neutre face à ça ».
Malheureusement, cette prise de conscience est loin d’être généralisée, elle poursuit : « On pense souvent qu’on [les étudiant.es en sciences de l’environnement – ndr] est les plus engagé.es, mais c’est pas du tout le cas […] tu peux complètement boucler un cursus universitaire en écologie et bosser pour une grosse boîte qui pollue sans sentir de dissonance cognitive ! » et G. de renchérir : « La situation peut paraître absurde, mais garde bien en tête que Total à tenté d’ouvrir un cursus transition énergétique en partenariat avec la fac de Toulouse !». Tentative réussie pour Total ; le cursus en question (baptisé, le plus sérieusement du monde, « Green-Air») est désormais ouvert aux inscriptions.
Préserver l’esprit critique, revoir le modèle d’enseignement des sciences de l’environnement et maintenir la pression sur le gouvernement pour
désamorcer les désastres à venir … Il est aisé de comprendre ce pourquoi ce campus s’éveille aujourd’hui. La perspective du chercheur, combinée à celle de l'étudiant, exige une clairvoyance singulière sur le prétendu "monde d'après"… monde d’après qui n’est plus guère qu’un élément de langage gouvernemental, vidé de son sens par sa ressemblance troublante avec le monde d’hier.
Pour celles et ceux qui se mobilisent aujourd’hui à la faculté des sciences de Montpellier, la situation n’est plus tenable : entre catastrophes climatiques annoncées et acquis sociaux peu à peu grignotés, il faut à la fois accélérer et densifier les actions, car, on le sait bien, science sans conscience n’est que ruine de l’âme.