Le soleil brille sur le jardin de la Villa Arson (école des beaux-arts de la ville de Nice) en ce jeudi d’avril ou une petite centaine de personne s’est donnée rendez-vous. Toutes et tous sont venu.es écouter les mots de la chercheuse (bien connue de les milieux universitaires et militants) et des 3 femmes kurdes l’accompagnant. Comprendre les problématiques, nombreuses, auxquelles sont confrontées les femmes en exil, et sans aucun doute en apprendre plus sur ce peuple que l’on connaît surtout grâce aux documentaires et au films que quelque un.es leur ont consacré.
La scène est sobre, encombrée des instruments du concert qui succède à la conférence, un diaporama diffuse à l’arrière-plan une succession de photos de manifestantes habillées de vert, de jaune et de rouge (couleurs du drapeau kurde irakien), les 4 femmes organisent leurs notes, larges sourires, scrutant la foule qui s’installe doucement. La plupart d’entre elles travaillent ou ont travaillé au service du Centre de la Communauté Démocratique Kurde de Draguignan.
Un temps important pour la communauté comme pour une grande partie du public, un peu admiratif de ce peuple des montagnes qui combat les forces islamistes en Irak et en Syrie depuis plus de 10 ans. L’occasion aussi, pour les nombreuses féministes présentes, d’en apprendre plus sur celles qui ont récemment grandement inspiré les soulèvements des femmes et de la jeunesse iranienne.

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Danser sous les coups
« Le peuple kurde est un peuple qui danse, même sous les coups de la police » ; comment danser dans les condition de lutte, de répression, et d’exil ? Pinar Selek ouvre la discussion sur cette question métaphorique, constat de l’extraordinaire résilience de ces gens, qui de guerres en génocide, ont toujours su se relever, se (re)construire et avancer. Le public occidental a découvert les luttes kurdes en grande partie grâce aux femmes combattantes des YPJ (Yekîneyên Parastina Jin en kurde - « unités de protection de la femme »).
Le combat de ces femmes contre le patriarcat et les traditions s’est doublé dans les années 2010 d’une lutte acharnée contre le déferlement islamiste qui prenait alors place. Aujourd’hui, ces combattantes sont au centre des espaces politiques communautaires parce qu’elles proposent un nouveau model d’existence : radical, engagé et éminemment féministe.
Fuir là-bas, construire ici
Mais que faire de ce bagage idéologique, lorsque l’on est déracinée ? Les persécutions répétées des régimes turcs et islamistes poussent ces femmes sur les chemins de l’exil ; si la diaspora kurde est majoritairement masculine, les femmes, elles aussi, migrent à travers des réseaux spécifiquement créés par et pour elles.
Une fois arrivée en France, se pose rapidement le problème de l’altérité, et du regard français sur les migrantes. Les frontières sont multiples : être une femme étrangère et fréquemment pauvre c’est être trois fois minorisée, trois fois exclue. Ces femmes si profondément ancrées dans la vie politique de leur pays se trouvent soudain démunies. Selon les membres du CCDK, elles ont encore du mal à trouver des relais à leurs paroles et à leurs engagements dans les structures et collectifs féministes.

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Naturellement, l’entraide finit par s’organiser – les centres communautaires s’affairent à éclairer les femmes sur leurs droits, à leur porter une assistance administrative, à les protéger et à les loger si nécessaire (violences conjugales, conflits familiaux ...). Le lien solidaire est, on le sent, très fort chez ces femmes de tout âge qui savent bien le parcours traversé par leurs interlocutrices. Aujourd’hui, elles attendent que les mouvements féministes français (et européens en général) s’intéressent à leurs paroles. Mais le chemin reste long.
Inspirer les luttes occidentales – le spectre du confédéralisme démocratique.
Il n’y a pas que le féminisme qui gagnerait à s’intéresser aux luttes kurdes.
En effet, une grande vitalité politique a rythmé ces dernières décennies, vitalité qui a rapidement pris le visage du confédéralisme démocratique.
Cette pensée politique prône une démocratie directe assembléiste, une économie collectiviste et une coopération paritaire et multiethnique. Elle fut théorisée à la fin des années 2000 par Abdullah Öcalan, homme politique kurde condamné par le gouvernement turc à la prison à perpétuité en 1999. Dans une région du monde encore aujourd’hui secouée par les conflits ethniques et religieux, un tel modèle politique semblait vraiment impensable … jusqu’en 2016.

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Cette année-là, au Rojava (vaste région du nord-est syrien), une coalition multiethnique proclame d’une même voix la création d’une fédération d’inspiration socialiste, écologiste et égalitaire. La Fédération démocratique du Nord de la Syrie est née. Dans le contexte des conflits en Syrie, ce moment politique reste inédit dans la région. Il sera dès lors sujet d’inquiétudes puis de fréquentes attaques par le gouvernement turc d’Erdögan comme par l’état islamique. Aujourd’hui encore, le Rojava tient bon malgré tout.
A l’heure de la montée des extrêmes droites et du grand retour nauséabond du masculinisme partout en occident, le moment est peut-être venu pour l’ensemble des forces progressistes de dépasser les perceptions misérabilistes de cette « vague » migratoire et de tendre une oreille attentive aux récits des femmes venus de cet orient qu’on croyait perdu … un souffle de renouveau pourrait peut-être venir avec elles.
Pour aller plus loin :
https://www.lorientlejour.com/article/989697/les-enjeux-fondamentaux-de-la-bataille-de-manbij.html
https://www.cairn.info/revue-ballast-2017-1-page-78.htm
https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2016-2-page-128.htm
https://www.cairn.info/revue-vacarme-2015-2-page-198.htm
https://www.liberation.fr/planete/2016/09/20/combattantes-kurdes-la-bataille-de-l-image_1504238/