Pourquoi et comment la candidature de Ségolène Royal s'est-elle brisée sur les Primaires, processus qu'elle avait appelé de ses voeux, défendu, triomphe soudain de la démocratie participative raillée en 2007 ?
Certes, nous pouvons remonter à 2007, et dire que l'échec de 2007 disqualifiait sa principale protagoniste ; cet argument se retourne cependant si l'on évoque les trois candidatures de François Mitterrand ou de Jacques Chirac, les quatre de Lula, etc ... On dira alors que le processus des Primaires, d'inspiration américaine suppose l'échec indélébile ; mieux encore, il se dit au PS que l'électorat ne lui aurait pas pardonné l'élection de Nicolas Sarkozy. Les auteurs de l'analyse étant également les principaux acteurs des divisions d'alors, permettons-nous d'aller plus loin.
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2011/10/22/il-y-a-cinq-ans-le-mauvais-souvenir-de-segolene-royal_1591811_1471069.html
Certes, nous pouvons remonter à 2008 et au congrès de Reims. Il est vrai que l'histoire eût été bien différente si Ségolène Royal avait pris la tête du PS. Aurait-elle dû, face aux tricheries et aux fraudes, faire scission et tenter un nouvel Epinay forte du soutien de plus de la moitié du Parti ? La question mérite d'être posée. Cependant, multiplier les uchronies ne répond guère à la question de l'échec du 9 octobre. Car après 2008, nous fûmes nombreux penser que l'issue de la bataille prochaine serait favorable.
Il importe bien plus, pour comprendre la défaite du 9 octobre 2011, d'analyser les choix stratégiques qui furent faits, choix pour le moins erronés.
1 ) Une stratégie électorale erronée :
Les quartiers populaires n'ont pas voté. Malgré les porte-à-porte et le fabuleux accueil fait à Ségolène Royal dans les banlieues, le pari des quartiers a été perdu. Il y a eu erreur stratégique, nous avons fait une campagne de Présidentielle et non de Primaires.
Nous n'avons pas dirigé nos efforts vers ceux qui ont voté ; des bobos sans doute, mais aussi des classes moyennes . Il eût fallu, au moins concomitamment, mettre en place une stratégie en direction de ces classes moyennes en voie de déclassement, qui auraient pu être réceptives au message de Ségolène Royal , qui demandent protection et sécurité (cf la volonté de rétablir "toutes les sécurités" , etc ...)Ségolène Royal l'avait compris quand elle avait osé – la première - mettre en exergue l’injustice de la taxe-carbone gouvernementale , avant d’être suivie ensuite par tout le PS . Elle s'adressait alors aux Français des zones péri-urbaines, relégués loin des centre-villes, qui n'ont pas le choix des transports "propres".
Les nouvelles classes populaires ne sont plus les seuls quartiers, Montebourg l'a compris, il fait de bons scores dans la France du"non" au référendum de 2005 (à relier à une erreur plus large de positionnement, voir le point 5).
2) La campagne menée a négligé les relais d'opinion.
Comment ne pas souligner l'importance des relais d'opinion, que constituent par exemple, les artistes, les gens du spectacle, et bien évidemment les journalistes, etc ... Cet aspect a été négligé.
J'ai à ma modeste échelle rédigé un texte : "qu'est-ce que le ségolénisme ?" devenu "pourquoi Ségolène Royal" ? en vue de démontrer que le socialisme proposé par Ségolène Royal procédait d'un corpus d'idées structuré et novateur, loin des caricatures qui en sont faites. Je ne dis pas que ce texte était l'alpha et l'oméga de la pensée politique, mais il visait à briser l'image véhiculée et à révéler la cohérence de toute une réflexion et ses apports théoriques .
Ce type d'initiative fut très peu relayé et aucune démarche de ce genre ne fut engagée à l'échelle de l'équipe de campagne. Oui, faire voter les quartiers populaires était une "obligation morale" , mais ne pas diversifier la démarche, les "cibles" était une erreur.
Les universités participatives drainaient un public déjà "ségoléniste" et nous n'avons pas su ( pu ?) nous tourner vers l'extérieur. Ségolène Royal n'était pas perçue comme produisant une pensée politique cohérente : il fallait lutter prioritairement sur ce terrain !
Voilà pourquoi il fallait agir sur les relais d'opinion, or le choix de l'équipe de campagne fut tout autre :
A été adoptée une démarche uniforme et autistique en quelque sorte.
Il se dit désormais que Royal a échoué parce qu'elle n'a pas eu le temps de reconstruire son image . C'est un peu tard.
3) Des erreurs de communication sur le fond :
- Ségolène Royal développe une politique offensive en faveur de la jeunesse et c'est Hollande qui est présenté comme le fer de lance d'une politique de la jeunesse !
- SR développe depuis longtemps l'économie sociale et solidaire et Montebourg en est présenté comme le seul héraut !
- SR préconise depuis 2008 une réforme bancaire et c'est Montebourg qui apparaît comme le tenant de la réforme / mise sous tutelle des banques !
- Pire encore, SR défend depuis longtemps une autre mondialisation, une autre Europe, cet ordre international juste, en bref, les idées de protection, les fameuses écluses sociales, environnementales et Montebourg apparaît comme le chantre de ces thèses. Alors oui, lui, Montebourg a fait une formidable opération de marketing , de communication avec le terme démondialisation. Il fallait un mot simple, accrocheur, clair.
Bien sûr, il eût fallu en choisir un autre ; je partage l'idée selon laquelle l'altermondialisme a un sens quand l'antimondialisation est une impasse. Il semblerait qu'aujourd'hui les équipes de Hollande travaillent sur le terme "remondialisation" - que ne l'avons-nous fait, ce terme ou un autre ; SR aurait dû apparaître comme la garante de la notion de protection, ce qu'elle était programmatiquement et intellectuellement ; or, le "message" n'a été ni compris, ni reçu. Il fallait se faire comprendre des électeurs pour gagner la primaire , et pour cela , voir notre message
-1 - clair
- 2- répercuté
La fameuse équipe de campagne de Ségolène Royal devrait se remettre en question.
Donc : Il ne suffit pas d'incriminer les médias ; puisque nos idées et le discours de SR n'était pas reçu, il fallait à tout prix travailler sur cette réception et donc les relais d'opinion, je reviens au point 2
Dès lors, la voie était ouverte au "matraquage sondagier", et donc , au vote utile
4) Des erreurs de communication sur la forme :
Un ami ségoléniste, acteur, journaliste séries TV et bien d'autres choses, ne cessait de nous alerter sur les pbs de communication, d'expression de SR, la manière de poser la voix, etc ... J'ai abordé ces questions et tenté de faire "remonter" ces suggestions vers l'équipe de campagne ; tout cela fut balayé d'un revers de la main , comme n'ayant aucun sens ; à nouveau cette barrière, une équipe fermée, repliée, l'impossibilité de communiquer des idées. En bref, la pratique de la démocratie participative n'a guère dépassé l'échelon des comités locaux !
Edgar Morin vient d'écrire qu' à son avis la "réflexion devrait porter sur l’approfondissement de la notion de démocratie participative" qui semble avoir été négligée. En effet, l'Equipe de campagne, l'entourage peut-être, se satisfaisai(en)t d'une démocratie que je qualifierais plutôt de "partici-passive" !
Si ces suggestions avaient seulement pu être étudiées, nous n'aurions pas eu ces interventions trop souvent inégales, nous aurions dépassé ces fameux reproches d'improvisation, etc ...
Qui donc s'occupait de la stratégie de communication (émission et réception)?
J'en viens dès lors à mon dernier point :
5) Des erreurs stratégiques de positionnement
Oui, il eût fallu éviter de trop rappeler 2007 et le Poitou-Charentes, s'appuyer certes sur la "politique par la preuve", mais se montrer aussi résolument tournée vers 2012
Enfin et surtout il eût fallu oser la confrontation lors des débats et surtout le premier si désastreux, quand Montebourg fut excellent, osant pour sa part, et c'est bien là que la tendance s'est inversée. Le ton adopté en était déjà significatif. M. Montebourg ne se laissait pas interrompre quand Madame Royal l'acceptait avec le sourire.
Ah, la crainte d'apparaître comme la diviseuse, qu'avait-elle donc à perdre de plus qu'elle n'a perdu à présent ? Quelle erreur, lors du troisième débat, de rire comme en passant sur la question des "cumulards" , quand il aurait fallu souligner la réalité des choses , et insister, et se montrer offensive ! Ségolène Royal n'est jamais meilleure que quand elle "ose" !
Elle n'apparaissait plus comme la candidate du changement, c'est bien Montebourg qui apparaissait comme l'alternative, alors que je persiste à penser que ses propositions gardaient leur originalité permettant de réconcilier les travailleurs victimes de délocalisations avec le processus d’unification européenne, en bref de lier deux impératifs souvent présentés comme antagonistes, réunissant ainsi les anciens partisans du "oui" et du "non" au référendum de 2005, reliant à la fois la défense de la République, le drapeau , la Nation et le refus de la dérive libérale de la sociale démocratie, la lutte contre les licenciements boursiers, etc ... Un discours trop répétitif, peu saillant, a étouffé tout ce qui faisait l'originalité des propositions et la cohérence même de la pensée
En conclusion, la communication, certes, ne devrait pas prendre autant d'importance, mais c'est une donnée incontournable des élections contemporaines en général et de l'élection présidentielle en particulier. Je suis de ceux qui pensent toujours que Ségolène Royal méritait d'être élue pour la force et la pertinence de ses idées. Or, erreurs de communication jointes à des erreurs d'analyse ont mené au résultat que l'on sait.
Il semble que l'équipe de François Hollande ait joué sa partition plus finement, et cela est de bon augure pour la victoire de mai 2012 !
Toutefois l' équipe de campagne de Ségolène Royal se remettra-t-elle un jour en question, maintenant que les lieutenants et les capitaines ne craignent plus pour leur sort ?