sanyet

Abonné·e de Mediapart

100 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 décembre 2025

sanyet

Abonné·e de Mediapart

En lisant Aristote 2/9

sanyet

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(chapitres 2 et 3)

Il est vrai qu'on définit, usuellement, la citoyenneté par des conditions plus concrètes : du genre : « est citoyen un fils de citoyen ». Ou « est citoyen qui est propriétaire foncier ». Conditions que l'on peut varier, assouplir ou durcir, pour, selon les besoins du moment, et l'espèce de régime que l'on souhaite maintenir ou instaurer, en accroître le nombre ou le diminuer (exiger par exemple la citoyenneté non seulement du père, mais du grand-père). Mais il y a des limites à l'extension du corps civique : la qualité de la population englobée ne doit pas trop baisser.

Les définitions de ce genre sont rapidement rejetées comme insatisfaisantes, mais il faut garder en tête que, pratiquement, on est obligés d'avoir recours à une telle définition par statut (être fils de, ou né à....). Il s’agit alors d’articuler correctement les aspects statut et fonction. Les citoyens, sélectionnés dans l'ensemble plus large des habitants par tels ou tels critères, d'âge, de richesse, d'ascendance, doivent être aptes à accomplir la tâche attendue d'eux.

Remarquons qu'une définition par l'ascendance indique des régimes où le statut d'homme libre et la noblesse pèsent lourd dans la prise en compte des prétentions rivales. De ce point de vue la différence liberté (être fils de citoyen) et noblesse (appartenir à une famille illustre) n'est qu'une différence de degré.

Les disputes entre partisans de régimes différents viennent de désaccords sur la justice qu'il y a à intégrer ou rejeter telles ou telles classes de la population. Ou du moins ils s’expriment dans le débat public en prétendant à la justice. Ces gens-là (= les riches, les bons, les nobles, les gens comme vous et moi, qui n'ont rien de spécial...) méritent-ils d’avoir voix au chapitre dans la détermination de ce que nous faisons ? Cette question de la justice, posée dans la suite, sera au centre des débats.

Oui, qui mérite d'être citoyen, si la citoyenneté ne se réduit pas à un vain titre ? Quelles sortes de gens méritent d’être chargés d’une fonction, ou au moins d’avoir leur mot à dire quand il s'agit de prendre des décisions ?

Ça dépend...   De la distribution des mérites, des capacités, dans la population : selon qu'elle est large, ventilée chez presque tous, ou concentrée en quelques uns, c’est cette répartition qui appellera telle forme d'organisation. Et en outre ce qu'on attend d'un citoyen va dépendre de ce qu'on attend de la Cité dans son ensemble. 

 La question de la justice reprend celle de la permanence de la Cité à travers les changements de régime. Si le pouvoir s'est imposé par la force et n'a pas cherché l'intérêt commun, mais seulement l’intérêt propre de telle ou telle de ses parties, la Cité pourra légitimement refuser de reconnaître pour siens les actes et engagements d'un tel pouvoir.  

Cette opposition domination/intérêt commun, ou despotique/politique, dans les styles de pouvoir, quoiqu’elle non plus ne puisse fournir une division bien nette et tranchée, permet du moins un repérage, et indique une direction, une orientation : D'où l'on part, et ce vers quoi nous désirons tendre.

L'intérêt commun. Son contenu, évidemment toujours difficile, ou pour mieux dire impossible, à énoncer nettement, peut offrir malgré tout une base de concorde : si on s'accorde au moins tous à tâcher de s’en approcher. Cela contient, intègre, une prise en compte des divers intérêts. La question étant, par nature, ouverte, il s'agit d'esquisser les approximations utiles à la mise en forme globale de l'activité. Cette ouverture coïncide bien avec celle des institutions sociales travaillant à son élaboration : multitudes ouvertes plutôt qu'appropriation par un nombre restreint de personnes, si expertes soient elles.

Ainsi la manière d'aborder le bien : par esquisses, ébauches, recherche de grandes lignes, plutôt que par des définitions précises, qui est celle de l'Éthique, est également valable à l'échelle politique. Mais cette manière entraîne, par ailleurs, un handicap de l'aristocratie face aux assoiffés de pouvoir, qui s'appuient solidement sur leurs représentations, courtes, fausses, mais nettes, de leur intérêt (du moins apparent), qu'il s'agit de faire triompher, par tous les moyens, aux dépens des autres. 

(On n'a sans doute d'ailleurs pas un si grand besoin, pour la plus grosse part de notre activité quotidienne, d'avancer sur ce contenu insaisissable de l'intérêt commun. Dans l'Éthique, Aristote plaisante sur l'« Idée du Bien » dont la contemplation serait requise pour faire de bonnes chaussures.)

Ainsi donc, la société, considérée dans sa structuration politique, étant association (koinônia) de citoyens, selon qui est citoyen, et de quelle manière, ce sont des formes diverses d'organisation sont possibles : si le grand nombre participe aux prises de décisions, le régime est d’une autre forme que si tout dépend d’un seul. Le nombre importe, mais ce n’est pas qu’une question de nombre.

C'est en quelque sorte la reprise des termes de la formule introductive du livre I, mais où le sens était plus large : il contenait toute la variété des diverses communautés/associations intermédiaires (c’est dans les livres VIII et IX de l’Éthique qu’on en parle). Ici, pour réduire la complexité de l’objet d’étude, on privilégie l'élément citoyen comme base. C'était la société dans toute son ampleur, toute la variété des groupes qui la composent (incluse d’ailleurs une tendance à un libéralisme, puisque ces groupes peuvent rechercher leur bien sans forcément le comprendre dans sa relation au bien social global), c'est maintenant la société en tant que gouvernée (et, autant que possible, en tant qu'auto-gouvernée)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.