sanyet

Abonné·e de Mediapart

89 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 août 2023

sanyet

Abonné·e de Mediapart

Hypérion et Pécuchet

sanyet

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Tu concèdes à l'État, me semble-t-il, trop de pouvoir. Il n'a pas le droit d'exiger ce qu'il ne peut obtenir par la force; or, on ne peut obtenir par la force ce que l'amour donne, ou l'esprit. Que l'État ne touche donc point à cela, sous peine que l'on ne cloue sa loi au pilori! Par le Ciel! Il ne mesure pas l'étendue de son péché, celui qui prétend faire de l'État l'école des moeurs. L'État dont l'homme a voulu faire son Ciel s'est toujours changé en Enfer.

L`État n'est rien de plus que la rude écorce protégeant l'amande de la vie, le mur enfermant le jardin de nos fruits et nos fleurs.

Mais que peut faire le mur, si la terre du jardin est sèche? 

La seule pluie du ciel y peut quelque chose.

Pluie du ciel, ô ferveur! Tu nous ramèneras le printemps des nations! L'État ne peut disposer de toi. Mais qu'il ne te gêne point, et tu viendras, avec tes voluptés toutes-puissantes, tu nous envelopperas dans un nuage d'or et nous élèveras au-dessus de la condition mortelle; alors, pleins de stupeur, nous douterons d'être ces mêmes indigents qui interrogeaient les astres pour savoir s'ils verraient encore un printemps....

Quand cela sera, me demandes-tu? Quand la préférée du Temps, sa plus jeune, sa plus belle fille, la nouvelle Église, surgira de ces formes désuètes et souillées, quand le réveil du sens du divin rendra à l'homme son dieu et au coeur sa jeunesse, quand...je ne puis l'annoncer, car c'est à peine si je le pressens, mais je ne doute pas qu'elle vienne. La mort est messagère de vie: si nous dormons maintenant dans notre hôpital, c'est que bientôt nous nous réveillerons guéris! Alors seulement nous serons, alors nous aurons trouvé l'élément où l'esprit respire!"

Alabanda me regardait avec stupeur. J'étais exalté par des espérances illimitées; des forces divines m'entraînaient comme un nuage.

"Viens! m'écriai-je en le saisissant par son manteau, viens! Qui supporterait plus longtemps l'obscurité de ces geôles?!"

" Où donc, cher exalté?" répondit-il sèchement, d'un air où je crus déceler un rien de raillerie.

*******************************************************************************************************************

- Ces socialistes, disait Bouvard, demandent toujours la tyrannie.

- Mais non!

- Si fait!

- Tu es absurde!

- Toi, tu me révoltes!

Ils firent venir les livres dont ils ne connaissaient que les résumés. Bouvard nota plusieurs endroits, et les montrant: 

- Lis toi-même. Ils nous proposent comme exemple les Esséniens, les Frères Moraves, les jésuites du Paraguay, et jusqu'au régime des prisons. Chez les Icariens, le déjeuner se fait en vingt minutes, les femmes accouchent à l'hôpital; quant aux livres, défense d'en imprimer sans l'autorisation de la République.

- Mais Cabet est un idiot.

- Maintenant, voilà du Saint-Simon: les publicistes soumettront leurs travaux à un comité d'industriels; et du Pierre Leroux: la loi forcera les citoyens à entendre un orateur; et de l'Auguste Comte: les prêtres éduqueront la jeunesse, dirigeront toutes les oeuvres de l'esprit, et engageront le pouvoir à régler la procréation.

Ces documents affligèrent Pécuchet. Le soir, au dîner, il répliqua:

- Qu'il y ait, chez les utopistes, des choses ridicules, j'en conviens; cependant ils méritent notre amour. La hideur du monde les désolait, et, pour le rendre plus beau, ils ont tout souffert. Rappelle-toi Morus décapité, Campanella mis sept fois à la torture, Buonarroti avec une chaîne autour du cou, Saint-Simon crevant de misère, bien d'autres, Ils auraient pu vivre tranquilles; mais non! ils ont marché dans leur voie, la tête au ciel, comme des héros.

- Crois-tu que le monde, reprit Bouvard, changera, grâce aux théories d'un monsieur?

- Qu'importe! dit Pécuchet, il est temps de ne plus croupir dans l'égoïsme! Cherchons le meilleur système!

- Alors, tu comptes le trouver?

- Certainement!

- Toi?

Et, dans le rire dont Bouvard fut pris, ses épaules et son ventre sautaient d'accord. Plus rouge que les confitures, avec sa serviette sous l'aisselle, il répétait:

- Ah! ah! ah! d'une façon irritante.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.