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A travers cette déclaration publique, nous souhaitons réitérer notre volonté de participer à des dynamiques artistiques véritablement inclusives, à des environnements propice à la création et avant-gardistes à Marseille, en dépit du fait que nous sommes régulièrement confronté-es à des institutions internationales, telle que la biennale Manifesta présente ce moi-ci à Marseille, qui sont le plus souvent hors sol.
Manifesta avait déjà été accusée d’exploitation et de gestion opaque de fonds, aujourd’hui la direction de Manifesta est accusée de discrimination raciale, d’homonationalisme et d’exploitation des plus marginalisés.
Soutenez les artistes marginalisé-es et les migrant-es en cliquant ici.
Nous appelons les artistes, les intellectuels et toute personne intéressée par le sujet, à se joindre à nous dans cette discussion ouverte et ce débat qui, nous l'espérons, fournira des réflexions collectives et des pistes pour nous en tant que communauté créatrice et engagée dans notre ville, mais aussi afin que les représentants de Manifesta et des associations partenaires n'aient à revivre le même genre de « malentendus », lors de leur prochaine biennale en un autre lieu, à propos des accusations de discriminations et d’exploitation des plus marginalisés dont ils font l’objet aujourd’hui.
En effet depuis un an, nous sommes nombreux à travailler avec Manifesta, la biennale nomade européenne d'art contemporain, qui s'est implantée à Marseille pour sa 13e édition. Voyant cela comme une opportunité positive de mettre en valeur les communautés dynamiques de la ville, et dans un esprit d'ouverture, nous sommes nombreux à avoir accepté de collaborer avec la biennale et commencé à planifier une gamme d'activités pour août et septembre 2020. Outre les difficultés liées à la pandémie en cours, qui a secoué le monde tel que nous le connaissons, il nous a été reporté que plusieurs accusations ont été formulées, au sein de notre réseau, à l’encontre de certains membres de Manifesta, de certain-es organisateurs et artistes associé-es, qui auraient fait preuve de politiques liées au racisme systémique, d'exploitation de récits et de corps marginalisés, de manque de transparence financière et budgétaire en général.
Dans cette appel à une action collective, nous aimerions réaffirmer notre position, qui place les communautés que nous représentons au premier plan, et s'oppose fermement à la discrimination raciale et à l'extraction des expériences et du travail des groupes marginalisés au nom de la production et de la consommation culturelles. Cela est dû, de notre point de vue, à des problématiques systémiques plus largement implantées dans la société française, notamment du fait de l’application des mêmes mécanismes infrahumanisants[i], qu’ils soient conscients ou inconscients, que nous avons pu constater dans d’autres mouvements dits « progressistes ».
Depuis octobre 2019, une gamme de propositions et de consultations a été fournie à Manifesta, sur la cartographie efficace du contexte artistique et culturel de Marseille, parallèlement à la planification et à la mise en œuvre d'événements inclusifs et intersectionnels par les membres de notre réseau, en dépit des nombreuses restrictions liées à la Covid-19. Pour autant, à ce jour certains de nos partenaires les plus marginalisés doivent encore être payés et les frais engagés remboursés[ii], alors que nos budgets et programmes étaient prêts avant le mois de juin[iii].
Et là où des décisions de payer de tels groupes ont été prises, elles l'ont été à la dernière minute en raison d’échanges tendus, qui ont convaincu les responsables du budget qu'en effet, toute personne contribuant à des projets a le droit d'être rémunérée pour son travail, et non pas seulement des artistes « professionnels », des intellectuels et des personnes « Blanc-hes », qui sont actuellement encore prioritaires sur le plan financier et hiérarchique. Un rapport général sur les artistes contribuant à Manifesta 13 par sexe, race et nationalité est déjà accessible au public, où les hommes et les Blancs forment la majorité des participants[iv].
Certain-es parmi nous ont par conséquent émis l’hypothèse, qui reste à valider, que tandis que Manifesta propose de « repenser les relations entre la culture et la société, en examinant et en catalysant un changement social positif en Europe, à travers la culture contemporaine, dans un dialogue continu avec la sphère sociale d'un lieu spécifique », la réalité est qu'ils se serviraient de la réputation d’associations locales avec un historique de luttes pour la justice sociale à Marseille, sans rembourser leurs dépenses qui plus est, sans les citer dans un programme intellectuellement produit par leurs soins, dans une perspective à la fois clientéliste et basée sur l’entrisme.
Bien que des accords aient maintenant été conclus pour couvrir certaines de ces dépenses minuscules dans le budget global, nous ne savons pas à ce jour, entre autre, si les activités incluant des personnes en situation de handicaps, participant à un spectacle prévu mi octobre à la Criée, seront ou non compensées financièrement. Qui plus est, il est plausible de considérer que la résistance à un accord immédiat pointerait, en réalité, vers des politiques financières plus problématiques, qui accordent la priorité et privilégient les intervenant-es institutionnel-les, tout en s'attendant à ce que les communautés noires, ou racisées, contribuent gratuitement et par « solidarité », comme si cela était déjà un honneur suffisant, pour nous, d'être mis en valeur dans la programmation de cette biennale.
Nous avons alors décidé de lancer une enquête informelle, afin de vérifier si ce genre de dynamique été appliquée à d’autres réseaux marseillais, qui révèle que notre réseau n'est pas seul, et en effet, de nombreux autres artistes, intellectuels et organisateurs culturels locaux ont critiqué la biennale pour avoir utilisé les mêmes procédés que ceux décris ici avec eux, pour avoir renoncé à plusieurs reprises aux engagements initiaux, sans compenser financièrement les acteurs sociaux concerné-es, pour leur temps de travail et leurs productions intellectuel-les. Confronté-es à cette état de fait, il est curieux d’observer alors que Manifesta a mis en avant certains de ces membres issus de la « diversité », afin de résoudre ces préjudices, d’autant plus qu’il y a plusieurs mois, il nous a été reporté que certains patrons et mécènes de Manifesta n’apprécierai pas que l’identité « islamique », de certains de nos membres, soit trop ostensiblement mise en avant[v].
Alors que plusieurs de ces préjudices ont été adressés directement avec les concerné-es, aujourd’hui nous pensons que les curateurs de Manifesta sont sans doute ouvert à la discussion sur ces sujets-là. Pourtant, par le passé déjà, la 11e édition de la biennale avait été critiquée pour travail non rémunéré[vi], ce qui semble pointer vers un problème structurel et systémique plus profond, au sein des équipes et des terrains de Manifesta, qui évoluent tous les deux ans, ce qui permettrait à l'institution de pousser ces réflexions critiques sous le tapis, et donc d'éviter tout changement de conséquence.
Au lieu de cela notre collectif, rejoint en cela par certains curateurs de Manifesta qui veulent y travailler en interne, afin de demander à la direction de cette dernière une éthique de travail véritablement progressiste et inclusive envers tou-tes, qui était à la base de nos propositions pour le Manifesta 13. Nous demandons des réflexions critiques ouvertes sur l’impact des collaborations et des partenariats de la biennale dans la ville et sur ses communautés, afin que Manifesta se débarrasse à l’avenir de tous oripeaux liés à une forme de « racisme institutionnel »[vii], « d’homonationalisme »[viii], de « migrantwashing »[ix] ?
Pourquoi les plus marginalisé-es d’entre nous ne sont-ils pas les premiers à bénéficier du fruit de leur labeur ? Ces dynamiques sont-elles liées au peu de considération allouée à l’art contemporain et social, ou bien y a-t-il une dimension supplémentaire à ces inégalités visiblement récurrentes ?
En ces temps de « blacks lives matters », de déconstruction des identités fascisantes, suprématistes, nous avons invité les marseillais-es concerné-es à se joindre à nous lors d'un dîner-débat sur ces sujets, à l'institut CALEM de Marseille[x], et nous avons désormais créé une campagne de financement afin de compenser les artistes marginalisés floués par Manifesta 13[xi].
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« Pour nous, le fait de se rendre visible est un acte politique »
- Angela Robertson, Our Dance of Révolution[xii].
Auteur-es et signataires :
Dr. Ludovic-Mohamed Zahed (directeur de l’institut CALEM[xiii], l’imam gay de Marseille)
Dr. Amina wadud (retired Professor of Islamic Studies and The Lady Imam)
Dr. Michaël Privot (Islamologist, founder of the IEEI, Brussels, former president of the ENAR)
Abdullah Qureshi (artiste visuel et curateur indépendant, doctorant en art contemporain)
Louis-Georges Tin (fondateur de la Journée IDAHOT, fondateur du CRAN)
Alexandre Marcel (président du comité IDAHOT France)
Erika Nomeni (Baham Arts, pour visibiliser les artistes minorisé.es et les femmes à Marseille)
Paulo Hggns (Ze Gaitho, soirées queer inclusives à Marseille)
Moussa Fofana (co-fondateur de Migrants LGBT+ & solidaires à Marseille)
Souleymane Traore (co-fondateur de Migrants LGBT+ & solidaires à Marseille)
Sara-Aviva Gerbaud (psychanalyste, musicienne, auteure)
Tom Porcher Guinet (collectif El Manba, pour le droit des Migrant-es à Marseille)
Mariam SaintDenis (Filles de Blédards à Paris et Marseille)
Yvan X. (directeur artistique de festival LGBT+ en France)
Harry Gaabor (artiste plasticien à Marseille)
Rabha Attaf (journaliste et présidente de Confluences, pour les droits humains à Marseille)
Osman X. (coordinateur pour Hidayah, l’association queer musulmane anglaise)
Fares Chiter (linguiste, membre de CALEM à Marseille)
Jérémie Yorillo (chargé d’information, orientation, formation à Marseille)
Denis Caiozzi (réalisateur et membre de Migrants LGBT+ & solidaires à Marseille)
Didier Dubois Laume (artiste peintre & fondateur du café lunettes rouges pour LGBT+ HIV+)
Adam Hussain (artiste, danseur, praticien et chercheur en somatique du mouvement)
Adi Bharat (Dr., université du Michigan, JMRN - dialogue juifs et musulman-es)
Adrian Stiefel (Geneva protestant Church, in charge of l’Antenne LGBTI du LAB)
Musab Atasoy (Queer imam of the London inclusive community and adviser for CALEM)
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[i] Considérer que certain-es sont moins dignes d’être respecté-es par leur travail, vis-à-vis de leur corps, dans leur identité.
[ii] Notamment l’association des Migrant-es LGBT+ et Solidaire à Marseille. Les migrant-es du squat de Saint-Just ont, parallèlement, eu à établir un « rapport de force plus égalitaire », nous ont-ils/elles dit, afin que chacun-e des participant-es soient rémunéré-es justement, avec contrat de travail en bonne et due forme.
[iii] Date prévue initialement pour la tenue de Manifesta 13, avant que la crise de la Covid ne décale la totalité de la programmation.
[iv] Nous faisons référence ici à l’étude de Daria Harper, journaliste intersectionnelle, écrivaine New-Yorkaise, à propos de la surreprésentation des artistes d’origine européenne, à Marseille durant Manifesta 13. Disponible en ligne : https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-manifesta-13s-artists-gender-race-nationality
[v] Un appel a été lancé en 2018, suite aux propos racistes du curateur Kasper König, présenté comme un éminent membre de la communauté artistique allemande, par un collectif d’artistes migrant-es, noir-es, indigènes, lesbiennes, queer et trans de couleur : « Nous observons que les niveaux structurels de racisme et de discrimination disparaissent lorsque nous exprimons nos critiques, et que nous sommes accusé-es d'être agressifs ou de s'apitoyer sur nous-mêmes lorsque nous le dénonçons ! NOUS EN SOMMES MALADES ». Disponible en ligne : https://hyperallergic.com/474836/german-museum-director-and-curator-accused-of-making-racist-remarks-about-german-turks-at-panel/ . De plus, selon certains curateurs de Manifesta 13, l’ancien maire de Marseille de droite a demandé à la direction de Manifesta 13 de ne pas parler de « migrations ».
[vi] En 2018, Manifesta s’est trouvé sous le feu des critiques, du fait d’accusations d’exploitation et de travail non rémunéré. Disponible en ligne https://news.artnet.com/art-world/manifesta-11-comes-fire-unpaid-labor-620975
[vii] Selon F. Dhume, on parle de racisme institutionnel lorsque, en dehors de toute intention manifeste et directe de nuire à certains groupes ethniques, les institutions ou les acteurs au sein de celles-ci développent des pratiques dont l’effet est d’exclure ou d’inférioriser de tels groupes. Cf. « Du racisme institutionnel à la discrimination systémique ? Reformuler l’approche critique » (Migrations Société 2016/1 (N° 163), pages 33 à 46 - https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2016-1-page-33.htm).
[viii] Selon L. Zahed, c’est le fait d’utiliser les luttes pour les droits des minorités gays, lesbiennes, transgenres et intersexes, à des fins idéologique et capitaliste. Cf. « LGBT musulman-es : du Placard aux Lumières » (CALEM, 2016 - http://www.calem.eu/francais2/CALEM-edition-LGBT-Musulman-es-face-obscurantismes-homonationalismes_Ludovic-Mohamed-Zahed-2017.html). En 2014, des artistes russes appelèrent à boycotter Manifesta car, de leur point de vue, cette biennale intervenant à l’époque à Saint-Petersbourg, n’accorder aucune importance aux discriminations de V. Poutine envers leurs communautés LGBT+. Disponible en ligne : https://www.nytimes.com/2014/10/10/world/europe/allowed-a-space-for-criticism-artists-in-russia-have-fun-with-it.html
[ix] Le fait d’utiliser le corps et les récits de vie des migrant-es afin de susciter le buzz, la compensation et de renforcer la réputation humaniste d’une institution qui en réalité ne se souci guère de leur sort, ni sur le court ni sur le long terme. Certains curateurs de Manifesta affichaient leur attachement à la lutte contre la pauvreté, alors que le jour même on nous annonçait que le budget alloué aux activités élaborées par les Migrant-es LGBT+ ne bénéficieraient d’aucun support financier pourtant conclut, selon nous, depuis plusieurs mois, avant le report de Manifesta de juin à septembre 2020. Disponible en ligne : https://news.artnet.com/exhibitions/manifesta-13-interview-1904466
[x] Le samedi 3 octobre 2020 à 20h.
[xi] En particulier les Migrant-es LGBT+ et les personnes en situation de handicap : https://www.helloasso.com/associations/calem/collectes/au-benefice-des-migrant-es-lgbt-et-des-personnes-handicapees-de-manifesta-13
[xii] Dans le documentaire de Phillip Pike (2019) : «Our Dance of Revolution » (minutes 31.45). Roaring rivers films, Canada.
[xiii] Cette organisation internationale, basée à Marseille, n’est plus conseillère de Manifesta ou du réseau AOZIZ (fondé par Andrew Graham, l’Autre Maison, et Béatrice Pedraza, Arthalie, en collaboration avec l’Atelier de Mars, fondé et dirigé par Florence Morana), pour la réalisation des activités intersectionnelles prévues fin septembre, début octobre. CALEM avait accepté cette proposition de certains curateurs de Manifesta 13 qui aurait consisté à les aider pour constituer un rapport sur la situation actuelle, ainsi qu’un questionnaire d’enquête préalable et une charte éthique pour les Manifesta à venir et leurs partenaires. Ce livre sera disponible à partir de la page internet de notre maison d’édition - http://www.calem.eu/francais2/CALEM-edition.html