Sarah Ben Ali

Journaliste. Ancienne reporter pour Brut Afrique, désormais responsable éditoriale du média tunisien Inkyfada

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Billet de blog 13 août 2024

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L’occident et les autres : ces journalistes qui n’interrogent pas leur biais coloniaux

L’année 2024 est marquée par un clivage nord-sud qui se dessine davantage avec l’offensive israélienne à Gaza, mais encore aujourd’hui, dans le sport à l’occasion des JO où on se défend de faire de la politique. Pourtant, la couverture médiatique de l’actualité dévoile des ancrages historiques et politiques, que certains journalistes perpétuent, parfois par mégarde.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 9 août 2024, la boxeuse algérienne Imane Khelif remporte une médaille d’or en battant la Chinoise Yang Liu, lors des Jeux olympiques de 2024. Après le match, la championne répond aux questions des journalistes. C’est au tour de François Mazet de RFI, de lui poser la question : « En français s’il vous plaît, si vous voulez bien... Est-ce que vous pourriez nous dire si vous avez le sentiment aujourd’hui que votre honneur est lavé, et est ce qu’on saura un jour pourquoi la Fédération internationale de la boxe a essayé de vous salir comme ça ? ».

Quelques jours plutôt, la boxeuse androgène avait fait l’objet d’une polémique sur son genre face à l’italienne Angela Carini qui avait abandonné le match au bout de 46 secondes. Munie de ses écouteurs, l’algérienne de 25 ans écoute la traduction de la question à l’oreillette et lui répond en anglais : « mon français n’est pas bon, je vais donc vous répondre en arabe et vous pouvez traduire ensuite. »

La réaction de l’athlète de haut niveau a été applaudie sur la toile. Son geste n’est pas passé inaperçu, dans les pays du sud. Parler en arabe, à un journaliste français à Paris, plusieurs commentateurs en Tunisie et en Algérie y ont vu un symbole fort.

L’histoire coloniale, au cœur de la polémique

« Voilà notre héroïne nationale ! vous avez bien fait de lui répondre en arabe » commente un internaute sous la vidéo publiée sur la page Instagram. « Comment ose-t-il lui demander de lui parler en français ? » s’interroge un autre. La vidéo en question a été vue plus de 1,4 M de fois et commentée massivement. Tous convergent sur la réaction, jugée louable, de l’athlète.

En effet, si des journalistes en France s’attendent à ce que les personnalités médiatiques d’origine maghrébine s’expriment en français systématiquement, ces attentes ne sont pas toujours les mêmes pour les intervenants d’autres nationalités. En juillet 2023, Yann Barthès en donne un exemple : « Depuis tout à l’heure on se traduit et on se parle en espagnol alors que vous parlez extrêmement bien le français » réagit le présentateur face à l’actrice Penelope Cruz qui peine à articuler deux phrases dans la langue de Molière.

Cette scène se reproduit quelques mois plus tard, en septembre. Cette fois-ci, c’est l’acteur américain Bradley Cooper qui est applaudi pour son français approximatif : « Mais comment vous faites pour avoir ce niveau de français ? » lui demande Yann Barthès.

Un deux-poids-deux-mesures marquant la fin d’une conversation

Si les stars américaines sont choyées pour leur expression bricolée , ce n’est pas le cas pour les intervenants maghrébins et orientaux. Le 8 octobre 2023, c’est dans l’émission C’est dans l’air sur France 5 que l’essayiste Ziad Majed en fait l’expérience, face à Axel de Tarlé.

Lors d’un échange autour de l’attaque contre les kibboutzim israéliens du 7 octobre, le politologue libanais parle de Gaza, dans un français fluide et académique, en prononçant son nom à la libanaise « Ghazzé ». Il a été vite repris par l’animateur : « Ghazzé c’est Gaza, sinon nos spectateurs ne vont pas forcément comprendre ».

De la rive sud de la Méditerranée, la réaction d’Axel de Tarlé a été jugée scandaleuse. Les jours suivants, le même journaliste adopte naturellement la prononciation israélienne du Hamas, qu’il prononce, depuis onze mois, « Khamas ». D’autres animateurs suivent la tendance. C’est au tour des français d’origine orientale et maghrébine de s’indigner.

Cette prononciation est ensuite tournée en dérision. « Depuis le temps qu’on essaie de faire prononcer correctement nos prénoms arabes écorchés par nos amis en France...Du jour au lendemain, ils arrivent à dire « Khamas », mais pas « Khalil », « Khadija », « Khaled »... rétorque Khira [prénom d’emprunt], 30 ans, née de parents franco-algériens à Paris.

Entre le 9 et le 10 août 2024, trois articles et un support audio ont été diffusés sur le site de RFI portant sur le palmarès de la boxeuse algérienne Imane Khelif et la polémique dont elle a fait l’objet. Sa réponse donnée en arabe à François Mazet n’a été reprise dans aucun des supports, ni doublée, ni sous titrée, ni traduite à l’écrit. La question se pose donc : est-ce qu’un journaliste aurait demandé la même chose à une athlète chinoise ou serbe ?

Sarah Ben Ali

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