Après Fendi, je ne pensais pas m’imposer une autre plongée dans l’univers de la mode-si-stressant-mais-si-excitant-c’est-ça-qui-est-bien. Et puis, à la faveur d’un coup de pompe phénoménal, d’un refus absolu de toute productivité: vlan, la rechute. Le jour d’avant Jean-Paul Gaultier, par le même Loïc Prigent. Arte a acheté une série au dit Loïc, je ne sais pourquoi j’imaginais une oeuvre collaborative de plusieurs réalisateurs.
Impossible de passer le style sous silence: ce serait se priver de dessert.Effets de style navrants ou totale incompétence, on en prend plein les mirettes.
La prise de vue obéit à des règles, par exemple, on n’essaye pas de faire le point sur la pluie qui tombe à travers une fenêtre à contre-jour. Quand, enfin on parvient à accrocher la goute, on coupe, au montage, le flou et les 10 secondes de mise au point pour y parvenir. Si on conserve ce rush, c’est soit qu’il apporte du sens (non), soit que le rendu est visuellement magnifique (non plus) soit que le réalisateur se fout parfaitement de son film. Et puis, l’effet est toujours redondant, trop attendu et sans aucune originalité : des gens en colère? Saturation rouge de l’image. Stress, gros retard: saturation rouge de l’image. Vocabulaire filmique restreint pour le moins mais qui fait écho à Jean-Paul Gaultier qui, après 30 ans dans la mode, à côtoyer des mannequins anglophones, parle toujours anglais comme une chèvre avec un champs lexical tenant dans une boîte d’allumettes.
Redondance. Prigent maîtrise l’art de conter et l’utilisation optimale du vocabulaire cinématographique, un plan suffit à nous convaincre. Plan large sur une grande pièce, au centre, une brodeuse penchée sur son ouvrage. Sous-titre barrant la scène: « C doit finir la robe clown ( delay 2 secondes puis) SEULE». Gros plan sur C et question en off «Et là vous êtes toute seule ?» «Ben oui, les autres n’ont pas pu rester, je dois finir seule». Economie de moyens au service du sens, merci!
De l’art du teaser. En plein milieu du documentaire, un teaser pour la suite : «A venir» annonçant ce qui va suivre. Suivre quoi? Quel événement pourrait nécessiter une coupure? Prigent a-t-il oublié que le doc est commandé par Arte, chaîne du service public, sans aucune publicité? Ou alors pense-t-il à une diffusion aux USA, mais dans ce cas, il faudrait un teaser toutes les 7 minutes. Ou bien, c’est encore un effet qui se passe de tout commentaire.
Les matières. Chez Gaultier, pour cette collection, plumes et croco. Et il ne faudrait pas croire que les plumes sont un dérivé de l’industrie alimentaire, il n’y a pas que des plumes de volailles. Autruches, paons, perroquets, flamands roses. Des plumes arrachées sur des animaux vivants.
Crocodiles d’élevage, il en faut 4 ou 5 pour faire un sac, ils consomment des tonnes de viande; quand on connaît l’empreinte écologique des élevages bovins ou porcins on ne peut que regretter ce gâchis. Les crocodiles mettent presque deux heures à mourir une fois leur colonne brisée, leur boîte crânienne faisant plus de 2cm d’épaisseur il est très dur de leur tirer une balle dans la tête pour les tuer, ils sont souvent dépecés vivants.
Comme chez Lagerfeld, de l’animal malmené, dégradé, exploité. Pourtant, Gaultier le dit :«Le croco c’est trop raide». Alors, on coupe, la peau en petit morceau, en «paillettes», chaque écaille sera assemblée, au crochet. Oui mais pas n’importe quel crochet: de l’ethnique, respectueux des traditions oubliées, des points vraiment rares. Ouf!
Discours de la méthode. Ce qui est le plus édifiant dans cet épisode, est la façon de travailler. La mode est un milieu à la hiérarchie marquée, d’accord. Des petits chefs sous le grand chef à qui on ne peut pas dire «impossible». Une équipe de nuit méprisée par l’équipe de jour qui doit, pour de bêtes raisons de droit du travail, partir au bout de 13 heures de turbin. «Ecoutez ce que je vous dis et après vous poserez des questions, c’est clair?» dit l’une à l’autre. De toute manière, elles sont nulles, elles ne savent pas travailler et le lendemain, quand l’équipe de jour reprendra SES ouvrages, il faudra tout refaire ou consentir un «ça peut aller» alors que la robe laissée la veille à l’état d’ébauche est à présent presque terminée. Formidable travail d’équipe qu’une collection, n’est-il point?
On souhaiterait que le chef ait un plan d'action. Non. Chez Gaultier c'est une désorganisation époustouflante dont il est conscient. Si, comme il le dit, «la collection est la chose la plus importante...on peut jouer la vie de sa boîte sur une collection» comment peut-il démentir cette assertion de manière aussi flagrante dans les faits? Il n’est pas face à un événement surprise: «Oh j’ai une collection à faire pour demain». Il a eu le temps de s’y préparer pendant 6 mois. Je suis peut-être un peu rigide mais j’ai toujours commencé mes devoirs le jour où on me les donnait. La veille de les rendre, ils étaient déjà terminés depuis belle lurette. Aucun stress de dernière minute, jamais. Gaultier n’est pas obligé d’adopter les méthodes rigoristes de ma mère mais quand même. La veille du défilé, aucune robe n’est terminée, il en est encore à la conception. Ce qui amène à se poser la question «mais que font ces gens le reste du temps?» Comment est-il possible de ne trouver personne pour porter une robe qui a nécessité 180h de travail à quelques heures du défilé ? Pour la robe en croco, il faudra faire 7 essayages infructueux sur 7 mannequins différents. Sur mesure, la haute couture. On commence par prendre les mesures de la personne qui va porter le vêtement, ensuite on ajuste. Mais en aucun cas, se retrouve-t-on à chercher la Cendrillon qui va entrer dans la robe. Elle demeure introuvable, surtout que celle qui était pressentie a «vachement grossi, elle a pris de partout c’est atroce» ( flou sur la grosse, délicate attention, mais sa carrière est over, elle est GROSSE). Pourquoi doit-on ajouter 15 cm de broderie à la longueur d’une robe à la dernière minute parce qu’on s’aperçoit que le mannequin mesure 1m80?
Nul doute que les petites-mains de Gaultier sont remarquables, mais comment pourraient-elles donner leur pleine mesure dans de telles conditions ? Le travail est bâclé, les fils ne sont pas arrêtés, les paillettes se détachent, les coutures ne tiennent pas. Sans cesse sur le métier remettre son ouvrage, non pas pour le fignoler mais pour tout refaire afin d’aboutir à un à-peu-près médiocre pour le défilé. Mais le stress participe au processus créatif nous dit-on. Ah, ne vient-il pas plutôt d'une désorganisation totale et d'un manque de travail rigoureux?
La méthode de travail glorifiée nous propose des gens stressés, absolument pas en mesure de donner le meilleur d’eux-mêmes (attention toutefois, chez Gaultier on prend soin du travailleur: smoothies aux fruits et massages), deux équipes travaillant en vain, à la dernière minute en vue de rendre, avec une heure de retard, un brouillon tout juste passable. Gâchis phénoménal.Loïc Prigent est peut-être un génie: son film bâclé, mal fini et brouillon est en parfaite adéquation avec son sujet.