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Billet de blog 29 janvier 2010

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Proenza Schouler, Prigent, le pragmatisme et les femmes 1/2

Troisième volet de l'inénarrable série d’Arte sur la mode, Le jour d’avant Proenza Schouler, par Loïc Prigent.Proenza Schouler? Oui c’est la petite maison de Jack McCollough et Lazaro Hernandez, encensée par la critique, adorée par Anna Wintour madame Vogue Amérique, chérie et convoitée par tous les acheteurs. Et aux manettes, pour cette plongée dans leur univers, le navrant Loïc Prigent.

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Troisième volet de l'inénarrable série d’Arte sur la mode, Le jour d’avant Proenza Schouler, par Loïc Prigent.
Proenza Schouler? Oui c’est la petite maison de Jack McCollough et Lazaro Hernandez, encensée par la critique, adorée par Anna Wintour madame Vogue Amérique, chérie et convoitée par tous les acheteurs. Et aux manettes, pour cette plongée dans leur univers, le navrant Loïc Prigent.
Inutile de revenir en détail sur le style, cette notion doit lui être étrangère ne chargeons pas la mule.
N’allez pas croire que la réalisation et le montage soient meilleurs dans cet épisode. Absolument, non. Absence totale de discours de l’image, toujours les mêmes cadrages perpétuellement débordés, les opportunités de gros plans ratées, la caméra en retard sur l’action et les effets consternants. Anna Wintour arrive, gros stress, sous-titre énorme barrant la scène, «son avis compte triple», sirène, absence notable de saturation rouge. Rassurez-vous la saturation est là quand il s’agit de souligner la symbiose des deux «créateurs». Rendez-vous compte, ils ont tous les deux mis un pull mauve, enfin plus ou moins une couleur similaire, quoique, ce n’est pas évident. Mais bon passons, osmose il y a vous dit-on, alors plan fixe et succession de saturations (violet, bleu) pour bien marquer la similarité. Une maîtrise de la langue française approximative avec des fautes énormes en sous-titre «Reste (sic) encore quatre paires de gants à broder». Désarmant, dans un doc diffusé sur Arte, avec un certain budget et des préposés à la relecture... Assez, on s’emballe dès qu’on aborde ces sujets sur une production de Loïc Prigent, on pourrait en écrire des pages, subitement gagnée par la prolixité face à la nullité.Stop.
Ce qui est intéressant, au bout de trois documentaires visionnés, par petites tranches je l’avoue, c’est de se pencher sur le style Prigent. Oui, comment qualifier ce qui est donné à voir et quelle est sa posture à Prigent?
Est-ce un documentaire? Aucun fond, aucun propos de l’auteur, aucune perspective. Pas de travail de recherche, on n’apprend rien. Que nous dit Prigent sur la mode à part: «Regardez c’est trop stressant, mais c’est super, ces gens sont trop cool!»? Et il ne peut en être autrement, fondamentalement, car Prigent se pose comme l’ami des stars. Prigent étale une pseudo intimité avec tout ce monde et c’est à ce titre qu’il est partout, qu’il obtient le droit d’aller backstage. Intimité, dans le premier épisode sur Lagerfeld, quand, il coince la première d’atelier débordée dans l'ascenseur:
«Et là vous êtes un retard?
«Oui, on est en retard.»
«AH ouais ok, gros retard donc (rire gras)»
La traduction de l’initié est bien nécessaire, merci.
Intimité fabriquée aussi, en lançant des blagues redoutables aux acteurs de la collection. Chez Proenza Schouler, il demande aux deux artisans florentins buvant un jus de chaussette américain «Et le café, il est bon?» (rire gras)
Grimace florentine «Non il est pas bon».
Journalisme ? Une des règles du journalisme est de ne pas être ami avec les acteurs de l’actualité. On perd toute objectivité, on ne peut poser aucune question qui fâche , on ne peut pas mettre ces gens dans l’embarras ! Les journalistes sportifs en sont la parfaite illustration, demandez donc à Patrick Montel de poser des questions sur le dopage aux athlètes qu’il reçoit en studio. Non pas possible, «c’est le parrain de mon fils», «j’étais en vacances avec lui pas plus tard que la semaine passée». Prigent est dans la même situation, à force de flagornerie et de connivence traquée, il a réussi à intégrer le milieu de la mode ce qui lui vaut d’être accepté dans l’intimité des couturiers et lui donne la possibilité de filmer, certes mal, ce qu’il a la «chance» de voir. Revers de la médaille, s’il a l’accès, il ne peut en aucun cas faire oeuvre critique ou même analytique, ce serait scier la branche sur laquelle il est assis.
Oeuvre d’art? La question va être vite réglée: non. L’image est sale, cheap, avec les moyens qu’il a c’est forcément voulu, le résultat est désolant. Aucun sens de la musicalité du discours, le montage est frappé d’arythmie, la bande son, atroce.
Panégyrique, alors. A la gloire des créateurs qu’il a la chance de côtoyer, que tous ceux qu’il intérroge trouvent «génial» «exceptionnel» «phénoménal» «extraordinaire» «a genius, what else could you say». Avec Prigent dans le rôle du héraut. On entend ses rires, on perçoit ses sourires entendus, il intérrompt ceux qui s’expriment: il est là. Et ce n’est pas un preneur d’images quelconque. Peu avant le défilé, Jack et Lazaro (ouais c’est mes potes aussi, je peux les appeler par leur prénom) font sortir les hordes de photographes. «Invasion» dit un mannequin, qui oublie que ce sont eux qui font son image, qu’ils lui sont absolument nécessaires dans ce monde d’images. Tous dehors, sauf Prigent, qui filme, se distanciant par la même des autres. Il peut rester, il a tous les droits.

Qu' Arte choisisse de financer et de diffuser une telle série est assez alarmant. Cantonnée en deuxième partie de soirée, certes mais lancée à grands renforts d'annonces, elle est un petit événement pour la chaîne. Le coffret DVD est déjà disponible à l’achat sur le site d’Arte, un bon produit d’appel, ces petits 52 minutes, même si on se demande qui pourrait bien acheter ces DVDs et s’imposer plusieurs visionnages de cette production. Ecrire un documentaire nécessite énormément de recherche, un talent de conteur, un colossal travail préparatoire, de la distance, de l’analyse, un propos et un minimum de savoir filmer. Tous absents de la série Le Jour d’avant ahurissante de flagornerie et de bétise. Quels documentaires pour quel avenir?

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