Proenza Schouler est une petite «maison» américaine montée en 2002 par Jack McCollough et Lazaro Hernandez . Enfin, «maison» pas vraiment au sens de «maison de couture», les pièces compliquées sont sous-traitées, ils externalisent beaucoup. Pas d’intégration verticale chez eux, ils n’ont pas encore les moyens d’avoir un atelier complet ultra qualifié. Disons que c’est une petite structure avec deux designers à sa tête. Chouchous de la critique mais relativement nouveaux dans l’industrie, ils se doivent de travailler à l’avance. Ils dessinent leurs collections en amont pour être livrés dans les temps. N’étant pas les plus gros clients, ils n’ont pas la priorité chez les fournisseurs.
On se prend alors à rêver d’un semblant d’organisation. Non.
Dernière minute pour le choix des mannequins pour le manteau tombant sur les épaules, vedette de la collection, il tombe trop ce manteau, il ne va à personne, pourtant, on a eu le temps d’y penser...
Deux artisans florentins arrivent avec les accessoires en cuir par avion, la veille du défilé. De la belle ouvrage, mais las, les «couleurs ça va pas du tout». Pas raccord avec les tissus, choisis il y a six mois, mais..., laissez tomber Holmes, aucune logique là-dedans.
Il faut donc les repeindre avec un parfait mépris de la matière, du cuir en l'occurrence. Et les peindre à la bombe, style graff et au marqueur. Street Wear, quoi.
Peu de respect pour les matières, il en va de même pour le travail. On verra un stagiaire broderie, défaire quatre paires de gants quelques heures avant le défilé, pour les rebroder autrement. Parfaitement conscient et cynique, il avouera que «c’est du travail pour rien, une bonne façon de rester occupé» puisque les manches des manteaux sont trop longues et qu’elles recouvreront les parties brodées. Ouf, pas de dépaysement, il y a même de la fourrure, mais seulement pour les cols, ils n’ont pas les moyens de plus.
Sauf que, chez Proenza Schouler, on se doit d’être pragmatique, c’est l’Amérique. Et une boîte doit rapporter des sous, être rentable. Il est beaucoup question de business dans cet épisode, chez Gauthier et Lagarfeld, on entretenait l’illusion qu’on faisait ça hors de toute contingence, presque pour la beauté du geste. Pas ici. Chaque pièce est présentée, non pas en fonction de sa matière, de son originalité, des détails mais sur le mode «se vendra / se vendra pas». " Ces chaussures, elles vont faire un carton". Dans une société avec des actionnaires, 45% appartiennent à Valentino, on ne peut se permettre de passer le retour sur investissement à l’as. Rentabilité avec pour mettre mot «wearable» (mettable, portable), voilà les Valentino rassurés. Pas comme avec la précédente collection, un vrai fiasco. On en voit quelques images, mais bien entendu, Prigent, avec son sens de l’information, ne nous explique pas les raisons de l’échec. Deux mots suffisent: pragmatisme et Amérique. Qu’ont fait les deux designers, cette année-là? Ils se sont pris pour des couturiers parisiens, ils ont fait de «l’art», ils ont oublié que leur collection devait se vendre et être portable. Au mépris de tout pragmatisme, ils ont oublié qu’ils travaillaient en Amérique, au pays du «good value for money», au pays de Gap et de Jcrew. Il suffit de regarder comment ils sont habillés: jeans, pulls informes, vieilles baskets, aucune classe, aucune élégance. Et ils travaillent pour une majorité de gens comme eux, qui, de temps en temps, s’habillent mais jamais n’oublient le confort. Fiasco, fatalement! Mais ils ont retenu la leçon, ce qui est présenté est sobre mais sport, à part une pièce dont la matière est si fragile qu’elle se déchire à l’essayage. Peu de ventes en perspective pour celle-ci.
Finances. Leurs défilés coûtent $ 1800 000 alors que ceux des grandes maisons avoisinent les $ 500 000. Comment font-ils? Bonne gestion sans doute, et les mannequins ne sont pas payées. Elles sont dédommagées en accessoires et vêtements, ce qui ne doit pas poser beaucoup de souci vu qu’une se sent «à l’aise dans des chaussures deux tailles en dessous de la sienne». Une femme est aux manettes de la société, Shirley Cook, PDG et ancienne camarade de classe. Elle ne parle que de sous, de rentabilité, de partenariats, d’actionnaires et peu de style. Mais soit, ce n’est pas son métier, c’est la boss.
LA boss dans une société qui propose uniquement des collections pour femmes: vêtements et accessoires.
La femme dirige, elle est le centre d’attention mais quelle conception sous-tend le tout?
On parvient à s’en faire une idée après 52 minutes d’attention.
La marque: Proenza Schouler, composée des noms de jeunes filles de leur mère respective. S’ils avaient pris les noms de leur père, cela aurait peut-être moins bien sonné «Hernandez McCollough» est moins exotique un peu lourd, certes. Mais des pères, il n’est pas question, on ne les voit pas pendant le documentaire, seules les mères sont interrogées, présentées à la caméra «This is my muuuuuuum». Leurs fils ont retenu leur nom de jeune fille, avant qu’elles ne deviennent épouses et mères, avant d’entrer dans un certain ordre social et naturel. Et de manière assez symptomatique, les mannequins sont toutes adolescentes sans forme, sèches, dégageant bien peu de sensualité. Pas encore des femmes. Non ce n’est pas une fatalité dans la mode, certains défilés présentent des physiques plus intéressants, plus féminins, colorés ou atypiques. Lazaro dit qu’il «adore quand c’est vraiment plat là»en touchant le buste d’un mannequin, autrement dit quand tout signe de féminité est exclu. Ici, l’image est calculée, la démarche saccadée, sans souplesse ni délié, les visages fermés. Succession de faces en gros plan, toutes graves et sombres. Pas un sourire. Ceci dit, il est facile de demander à un ado de faire la gueule, c’est une deuxième nature à cet âge. Une sourit en saluant une connaissance mais revient bien vite à son état précédent, fixant la caméra, c’est ce qui est attendu d’elles.
Et la collection est faite pour ses stéréotypes «supeboyish», androgynes : shorts, pantalons, vestes courtes, quelques robes mais pas tant. Enfin, les robes, c’est pour l’autre versant de la collection «les traînées» pour une collection «superboyish and slut». Derrière tout ça, une extraordinaire compréhension de la psychologie féminine: Lazaro lance à un mannequin, après s’être extasié «elle est trop trop canon», «Moi, si j’étais comme elle, je serais trop une salope, j’aurais pas d’ami tellement je serais méchante parce que je serais trop trop canon» (rires gras). Eh oui, quand une femme est belle, elle ne peut être que peste; seules les moches sont sympas. Imparable.
Cet épisode a l’avantage de répondre à la seule question qui me taraude depuis le départ: comment se retrouve-t-on, la veille du défilé, à créer de toute pièce, à refaire des dessins, à n’avoir rien de prêt. C’est très simple, McCollough le dit « dans les grandes maisons, ils dessinent tout 15 jours avant le défilé». Ah, vous voyez Holmes, tout s’explique.
Billet de blog 31 janvier 2010
Proenza Schouler, Prigent, le pragmatisme et les femmes 2/2
Proenza Schouler est une petite «maison» américaine montée en 2002 par Jack McCollough et Lazaro Hernandez . Enfin, «maison» pas vraiment au sens de «maison de couture», les pièces compliquées sont sous-traitées, ils externalisent beaucoup.
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