Mardi 20 août 2013, soit hier, le site de Debout la République a publié un article fallacieux sur le regroupement familial (lire ici). Ma conscience m'a obligée à y répondre, en tirant les 7 citations erronées et en y ripostant.
I. « Les juges, avec l’appui du Gouvernement, tendent au contraire à faciliter l’accès à la nationalité française, notamment par l’utilisation des enfants » :
L’article L. 411-1 du Ceseda (Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile) définit précisément ce qu’est le regroupement familial :
« Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. »
En d’autres termes, un étranger qui séjourne légalement en France (selon les conditions de l’article ci-dessus) et qui dispose de ressources stables, d’un logement et qui mène une vie familiale et privée normale « conformément aux principes de la République » peut demander à ce que son conjoint et ses enfants le rejoignent en France. Le conjoint et les enfants (des règles d’âges s’appliquant) doivent également répondre de certains critères, et une évaluation sur « le degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République » est désormais passage obligé depuis la fameuse loi du 20 novembre 2007. Une fois le conjoint et les enfants majeurs passés par la procédure administrative afférente, ils disposent donc d’un titre de séjour temporaire « Vie privée et familiale », valable un an et renouvelable, qui les autorise à séjourner légalement sur le territoire français. En cas de rupture familiale, le conjoint et les enfants peuvent ne pas se voir renouveler leur titre de séjour.
Rien à voir donc avec l’octroi de la nationalité française, qui est le fait de naturaliser un ressortissant étranger : il devient français, un vrai, avec une carte d’identité française, le droit de vote et la baguette sous le bras. L’octroi de la nationalité française est régi par les articles 17 à 33-2 du Code civil.
II. « Le 5 avril 2013, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans lequel elle estime qu’il est possible d’obtenir de la France des allocations familiales pour des enfants rentrés irrégulièrement sur le territoire. […] Un ressortissant turc, qui bénéficiait d’une carte de résident en France avait fait une demande d’allocations familiales pour ses trois enfants entrés en France irrégulièrement, quelques mois avant, sans respecter la procédure de regroupement familial. […]L’enfant devient donc le sésame permettant la régularisation d’une situation de clandestinité. » :
En premier lieu, comme nous venons de le dire plus haut, lors de la procédure de regroupement familial le conjoint et les enfants majeurs bénéficient d’une carte de séjour d’un an. Pourquoi majeurs ? Car les enfants de ressortissants étrangers mineurs n’ont pas besoin de titre de séjour pour séjourner légalement en France : autrement dit, un enfant mineur ne peut pas être en situation irrégulière, parce que c’est un enfant,qu’il a le droit de grandir, de jouer, de s’épanouir, et que son statut n’est pas soumis à des dispositions de contrôle, de rétention ou d’expulsion. Lorsque c’est le cas pour ses parents, généralement, l’enfant suit, parce qu’il n’a pas le choix.
Le cas évoqué par Dupont-Brayant concerne d’abord un ressortissant turc en situation régulière : dès lors, nous ne comprenons pas pourquoi, comme il l’évoque, l’enfant devient le sésame permettant la régularisation d’une situation de clandestinité, puisque son père est déjà en situation régulière, et que l’enfant ne peut pas l’être. Une faute de frappe de la part du rédacteur, sans doute.
Ensuite, ce cas est explicable très simplement : en France, les prestations familiales pour les familles françaises sont soumises à certaines règles bien précises, à savoir la résidence en France et le fait que les enfants soient à la charge du demandeur de ces prestations. Les résidents étrangers en situation légale, eux, sont soumis à des règles supplémentaires, à savoir prouver que les enfants soient entrés sur le territoire de façon légale, par la procédure de regroupement familial. La Cour de cassation avait condamné ces règles lors d’un arrêt rendu en 2004, mais elle s’est finalement ravisée en 2011 après des modifications législatives qui rendaient possible à nouveau ces règles. Les résidents étrangers y sont donc toujours soumis, l’honneur de la République est sauf.
Cependant, la France est liée à la Turquie et à l’Algérie par de nombreuses conventions bilatérales, qui selon la hiérarchie des normes et notre Constitution sont supérieures aux lois. Ces conventions sont ratifiées par notre Parlement, rien de scandaleux jusqu’à présent. Parmi ces conventions, deux d’entre elles stipulent « l’égalité de traitement entre travailleurs turcs et algériens et les ressortissants de l’Etat membre duquel ils résident légalement ». La Cour de Cassation en déduit donc (et cette décision est fondée) que les ressortissants turcs et algériens n’ont pas à fournir les papiers prouvant que leurs enfants sont entrés légalement sur le territoire français, puisque les familles françaises n’ont pas à le faire, et que les conventions susnommées les mettent à égalité (concernant cette démarche). On parle bien ici de la preuve de l’entrée régulière des enfants : généralement, on voit rarement des enfants traverser seuls illégalement des frontières extérieures de l’U.E., lorsqu’on connait les réalités que cela implique. Et encore une fois, une fois entrés sur le territoire français, ils ne sont pas en situation irrégulière, puisqu’ils sont des enfants. Il n’y a donc pas matière à faire autant de faute de frappe.
III. « Le placement en rétention de familles avec enfants n’est plus possible selon les instructions du ministre de l’Intérieur publiées en juillet 2012 » :
Nous venons d’expliquer que les enfants (mineurs, on s’entend bien) n’ont pas à justifier leur présence sur le territoire français et ne sont soumis à aucune procédure de contrôle, de rétention ou d’expulsion. Rien n’interdit de les enfermer dans des centres de rétention administrative avec leurs parents lorsque le cas se présente : on commence même à voir se développer des nurseries dans ces derniers, preuve que la République est tout de même bien aimable.
Sauf que le 19 janvier 2012, la République Française a été condamnée par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme pour avoir placé en rétention deux mineurs. Pourquoi ? Parce que la pratique française consistant à placer les mineurs étrangers en rétention est contraire à l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui prescrit la liberté, le droit d’information, le droit de faire recours contre son enfermement et d’être jugé dans un délai correct. Or, ces enfants ont été privés de liberté sans qu'aucune décision n'ait été rendue à leur encontre, puisqu’étant mineur étranger ils ne font que suivre leurs parents et ne sont pas eux-mêmes l’objet de la rétention ; ils n'ont ainsi pas bénéficié de leur droit à saisir un juge qui puisse garantir le respect de leurs droits et libertés fondamentaux lors de cette privation de liberté. La CESDH a encore frappé.
Lorsque la CEDH condamne un Etat, ce dernier doit évidemment se soumettre puisqu’il a accepté de signer la convention l’y obligeant (convention, encore une fois, ratifiée par le Parlement). La circulaire Valls du 9 juillet 2012 ne fait rien d’autre que de reprendre cette jurisprudence. Comme tout bon étudiant de 2ème année de droit le sait, une circulaire est un acte administratif qu’un chef d’une administration (comme un ministre) donne à ses subordonnées pour leur indiquer des consignes, internes la plupart du temps. C’est acte qui n’est pas juridiquement opposable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas aller voir un juge administratif pour lui dire « madame le juge, regardez donc, cette circulaire ordonne ceci, bonsoir ». De ce fait, l’enfermement des mineurs étrangers n’est donc toujours pas interdit en France, et on dénombre actuellement environ 200 sur le territoire métropolitain (sans parler des Outre-mer, où la situation est bien pire).
IV. « La circulaire de régularisation signée par le ministre de l’Intérieur, le 28 novembre 2012, autorise largement le « regroupement familial sur place » (c’est-à-dire la possibilité de faire une procédure de regroupement familial pour des enfants étrangers déjà présents irrégulièrement sur le territoire) » :
La circulaire Valls du 28 novembre 2012 n’apporte presque aucune nouveauté en termes de regroupement familial. Elle pointe seulement des dispositions déjà existantes du Ceseda sur le regroupement familial dit « sur place », mais qui concerne les parents étrangers d’un enfant mineurs scolarisé en France, ces derniers pouvant se voir attribuer une carte de séjour temporaire dans le cadre de l’article L. 311-12 (voté par une loi de 2010). Et non en sens inverse, puisqu’on a déjà dit que les enfants mineurs résidant en France n’ont pas besoin de titre de séjour. CQFD.
V. « La même circulaire demande à ce que la présence d’enfants mineurs scolarisés soit prise en compte par l’administration comme un élément favorisant la décision de régularisation des familles » :
Lire notre point précédent. Notre cher rédacteur stagiaire de Je Boude la République a dû quelque peu s’emmêler les pinceaux. Errare humanum est, perseverare diabolicum.
VI. « La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt le jeudi 28 avril 2011 dans lequel elle interdit aux Etats de condamner à une peine d’emprisonnement pour le seul motif du séjour irrégulier d’un étranger sur le territoire. » :
Enfin une vérité juridique ! En effet, le fait de mettre les étrangers en garde à vue puis de les condamner à une peine d’emprisonnement (donc une peine délictuelle, qui relève de la justice judiciaire), a été proscrit en France du fait de cette célèbre jurisprudence El Dridi, suivie par la Cour de Cassation dès lors. Or, s'il n'y a pas de peine de prison, il n'y a pas de garde à vue. Mais, n’ayez crainte, Manuel Valls s’est empressé de pallier ce vide juridique, faisant voter par les représentant-es de notre Nation la loi instaurant une retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier, entrée en vigueur le 1er janvier 2013. Ne se contentant pas seulement de souhaiter bonne année à nos amis étrangers, elle institue une retenue (au commissariat) pour vérification de situation d’une durée maximale de 16 heures, qui se substitue ainsi au placement en garde à vue des étrangers présumés en situation irrégulière. Donc, une retenue 4 fois plus longue que la précédente garde à vue, où l’administration n’a entre autre pas l’obligation de donner à boire et à manger à la personne retenue. Finalement, M. Dupont-Brayant va peut-être revoir son jugement sur l’Union Européenne, et devenir un virulent fédéraliste.
Quant à l’enfermement des étrangers pour motif d’irrégularité faisant l’objet d’une procédure d’éloignement, il existe toujours au sein des centres de rétention administrative, ils se portent bien, merci pour eux.
VII. « Ainsi, l’addition des décisions de ces deux cours interdit aux Etats de sanctionner par des peines de prison les individus rentrés irrégulièrement sur leur territoire et les oblige à les régulariser lorsqu’ils ont des enfants. » :
Il nous est enfin permis de conclure, après être tombée de Charybde en Scylla juridique, en disant à M. Dupont-Brayant, à ce cher rédacteur de Je Boude la République et à toutes celles et ceux que cela intéressera, que l'on "n'additionne" pas les décisions de Cours. On se contentera de les comprendre.