En même temps que les rebelles devenaient majoritaires, dans ce pays, leurs pratiques, subversives, devenaient des préceptes obligatoires, et interdisaient, les dénonçant comme ringardes, certaines habitudes, ancrées dans la vie des gens, depuis des siècles. Ainsi, de la même façon que l'on n'a plus droit de dire que l'on fait l'amour dans l'obscurité, il est devenu impensable de lire un livre, du début à la fin, mots après mots, phrases après phrases.
Beaucoup d'écrivains en vue, depuis quelques années, pratiquent l'art de la punchline, à chaque fin de paragraphe, comme pour boxer la langue, selon des règles écrites pour le stand-up et la télévision, en lorgnant sur le rap, dans des romans coups de poing, qui ne font rire que jaune, et que l'on oublie, aussitôt lus. Ils écrivent et philosophent 'à coups de marteau', comme disait l'autre. Moi, je préfère la chasse aux papillons.
Et parfois, en lisant, cette impression de n'être qu'une oie que l'on gave ou, plutôt, un petit enfant devant son assiette de purée. Une page pour papa ; une page pour maman ; une page pour mémé etc.
Pas d'histoire, pas d'idées, mais un roman dans lequel chaque page donnerait envie d'en faire un avion (ou une cocotte) en papier. Écrire des livres 'origamiques.'
Le roman contemporain ? Le produit de la synergie totale et définitive entre la publicité et la politique, puisque cette dernière, non satisfaite de nous dire quoi acheter, et de garder la main sur le porte-monnaie des individus, afin de les inciter à consommer 'utile' – c'est à dire dans le sens d'une croissance maximale - a étendu son empire sur l'imagination et le rêve, en réduisant la littérature à ses fonctions commerciales, simple vitrine d'une modernité idéale. Le roman contemporain ? Le produit des produits.
On dit souvent que l'imposture, sans s'y suffire, commence par une posture. Mais le fait d'avoir la carte d'un parti, ou d'être affilié à un syndicat, voire de payer un abonnement à un journal, ou d'acheter un roman à mode, n'est-ce pas déjà céder au ridicule de la posture ?
Lu quelque part, que le fils du commandant Massoud, avait pris la suite de son père, au sein de la résistance afghane. Aura-t-il plus de poids sur l'Histoire que le fils De Gaulle ?
Ecrire un livre d'aphorismes et de pensées ? Mais c'est le lot que l'on réserve aux grands humoristes, en fin carrière, leur ultime blague, leur récompense, un dernier hommage à une vie passée au service du rire en boîte.
Je n'ai jamais dragué. Et je ne me suis jamais fait draguer. Je suis un gros balourd en société, et je ne suis pas doté d'un physique exceptionnel. Comment, dès lors, expliquer toutes ces relations avec toutes ces femmes exceptionnelles ? Si la drague avait agi, dans un sens ou dans l'autre, ne me serais-je pas condamné à rencontrer des créatures moins recommandables ?
Alors que l'on m'interrogeait sur le Bildungsroman (encore un cuistre qui voulait me piéger, sans aucun doute) cette forme de roman d'apprentissage, de jeunesse, ou d'initiation, dont « Les Souffrances du Jeune Werther » de Goethe, reste la meilleure illustration, je me suis surpris à répondre, à brûle-pourpoint, domptant mon esprit d'escalier, que « les Allemands n'avaient plus rien à m'apprendre ! »
Je viens de comprendre la raison pour laquelle tous ces gens m'attaquent, immanquablement, en frappant en-dessous de la ceinture : c'est uniquement parce qu'ils n'ont que ça en tête. Ils 'portent la ceinture comme un bandeau.'
Santangelo