Saul Santangelo

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Billet de blog 2 novembre 2024

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Sur un Air de Campagne (487)

Et une autre dent, une !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Rire C'est l'Avenir © Santangelo

Afin de s'assurer un avenir meilleur, les paysans (les écrivains), ont misé, il y a vingt ans, sur la multiplication et la mise en valeur des labels, des appellations, des particularismes de leurs terroirs (des prix littéraires, des petites maisons d'édition, des librairies de campagne), croyant faire de leurs différences ainsi distinguées, un argument de poids, pour vendre leurs produits (leurs livres) dans tout le pays, voire les exporter à l'international. Mais, au cours de ce processus de différentiation de grande ampleur, ils se sont mis à apprécier, pour de bon, leurs légumes, leurs viandes, leurs céréales (leurs romans, leurs pièces de théâtre, leurs confessions) et ont commencé à s'identifier à cette marchandise, qui leur renvoyait une image d'eux-mêmes, à travers les médias, rassurante et flatteuse. Alors, petit à petit, ils se sont mis à la consommer en masse. Résultat, vingt ans plus tard, les producteurs (les auteurs) sont devenus les seuls clients de toute cette marchandise fortement démarquée, qui leur sert également de raison de vivre, et ils l'achètent au prix fort, pour s'en servir de décor dans des selfies individuels qu'ils sont les seuls à regarder – miroirs brisés de leur rêves idiosyncrasiques. Les agriculteurs mangent la nourriture originale qu'ils ont produit dans leur petit territoire, et seuls les écrivains lisent des livres, et uniquement ceux qu'ils auraient pu écrire. Et tout ce petit monde de ne communiquer que par Internet - foire aux vanités de leurs ego blessé - afin de combler la séparation que le processus a instillée dans leurs personnalités narcissiques et hystériques, toujours en manque de reconnaissance symbolique, jamais satisfaits de leurs achats, en quête perpétuelle de distinction. Et, ce qui aurait pu devenir le triomphe de l'individu, se présente, aujourd'hui, sous nos yeux fatigués par les écrans, comme l'avènement d'une misère nouvelle, du repli identitaire, de l'entre-soi incestueux, de l'abêtissement des masses. À ce niveau de perversité ultime, le capitalisme atteint son dernier stade : celui de l'auto-anthropophagie. C'est le serpent qui se mord la queue, le livre qui s'oublie au cours de l'écriture, les vaches folles label rouge qui s'engraissent de carcasses de vaches encore plus folles. C'est pourquoi, le présent se présente à nous comme un éternel retour de la différence, sans cesse différente, sans cesse la même. Afin de restaurer la qualité humaine des individus, sans revenir à un passé vertueux qui n'est qu'un âge d'or fantasmatique, seule l'application d'une stricte égalité pourrait agir, et venir à bout de ce mal contemporain. Mais, dans cette optique où tout le monde serait pareil, la conformité des repas (des temps de lecture) pris en commun (partagés en public) et une uniformisation généralisée ne risquent-elles pas de nous rendre malades pour de bon - non plus de l'estomac et du cerveau, mais de l'âme elle-même ? Car, ainsi réifiés, nous nous exposerions à une crise inédite de l'appétit, à un désintérêt global pour le langage. Que deviendrions-nous alors sinon des sacs d'os sclérosés et des cervelets atrophiés ? Dévorons des livres et parlons le langage des pommes de terre !  Le rire c'est l'avenir ; et le pire est certain.

Santangelo

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