Alors que sort, sur tous les écrans et dans toutes les salles, en ce mois de janvier si peu propice aux expériences agricoles, le nouveau film d'Émilie Deleuze (fille de!), intitulé « 5 hectares », qui narre le parcours d'un grand bourgeois, retiré dans une ferme, cherchant à acheter un tracteur, pour s'intégrer à la société paysanne qu'il découvre, un grand roman vient de sortir, en toute discrétion, mais fort de mille promesses, et il pourrait bien bouleverser votre vision du monde. Son titre : « Les Next-Ruraux. » L'histoire : celle de Max, petit garçon de la campagne, né dans les années 70, monté à la préfecture du département, au début des années 90, pour y suivre des études erratiques et hasardeuses, et qui finit, après des années de galère, par trouver un travail à Paris. Là, il enchaîne les aventures amoureuses et sexuelles, avec des tas de girls next door et un ou deux garçons aussi paumés que lui, brûle sa vie dans les bars branchés, danse l'hiver parce qu'il a chanté tout l'été, et multiplie « les expériences. » Là, il ne rencontre que des gens « comme lui », venus eux aussi de la campagne, pas plus sages ni malins, et tout aussi rêveurs et fougueux. Jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance, sur Internet, de Kissie et Oscar, un couple pas comme les autres – c'est à dire comme tout le monde – avec lequel il va découvrir les arcanes de la vie culturelle parisienne, les avants-premières, les petits défilés, les expos du moment, les mises en scène à la mode, les opéras qu'il faut avoir vus au moins une fois dans sa vie.
Mais la fête sera de courte durée, car elle ne dure jamais, les lendemains vont déchanter, et l'avenir sera tout autre que ce qu'ils avaient prévu.
Un jour, sur un site de rencontre, Max fait la connaissance de Gaëlle Jourdain, une Bretonne, encore une « next », mais ce sera la dernière. Avec elle, il va dévoiler sa vraie personnalité, faire remonter les souvenirs de l'enfance, comprendre qu'il ne sera jamais le grand écrivain qu'il rêvait de devenir, et que le futur se conjugue au grand air. C'est le retour à la terre, dans la sauvagerie du Centre-Bretagne, ses paysages magnifiques, ses aubes claires et ses hivers rudes et, jusqu'à la fin de sa vie, Max sera dorénavant affublé du sobriquet de " Monsieur Jourdain." Mais n'en dévoilons pas trop...
Dans ce roman sociologique, c'est toute une génération qui se retrouve prise entre le marteau de la culture et l'enclume de l'agriculture, et qui doit faire le deuil de la trépidante vie urbaine, pour revenir aux racines – et ce seront celles des pissenlits. Ils étaient profs, journalistes, chargés de communication ou agents bancaires, et ils vont se trouver propulsés, du jour au lendemain, petits commerçants, paysagistes, agriculteurs bios ou bricoleurs « au noir. » Et le travail des mains, des bras et des jambes va sonner la fin des illusions, la fin des expériences de la folle jeunesse, et c'est le désenchantement et le sentiment du déclassement qui finiront par gagner sur ces ultimes tentatives pour réenchanter le monde.
Des cheveux courts aux cheveux longs, des boites queers aux rave-parties, des sourires ultra-brights aux dents pourries, de la légèreté de la plume à la pesanteur de la bêche dans la terre du jardin, des pulls pastel aux gilets fluos, une épopée déjantée et une danse au bord du gouffre. Mais aussi le testament d'un homme, le manifeste d'un territoire, le roman d'une génération.
Paru aux éditions « Le Seau Si Haut », ce roman bouleversant, lucide et habile, aux mille facettes et aux cents voix, restera, à coup sûr, comme une pierre dans le champ de ceux qui, comme Max, Kissie et Oscar, ont brûlé leur vie sans jamais renoncer aux rêves de l'adolescence. Et, gageons qu'on en reparlera, qui sait même, peut-être, au moment des prix.
Quant à l'auteur des « Next-Ruraux », aussi secret que son texte est indiscret, aussi effacé que son roman est impudique, il préfère, pour l'heure, demeurer caché derrière un mystérieux collectif, au nom de : Géné X-Trëme. Mais face au succès promis, il va falloir se démasquer !
En ces jours tristes, passées les fêtes, où la nuit tombe à 17 h 30 sur le paysage morne et glacé, une bonne tranche de vie comme on aimerait en lire plus souvent, à tartiner et à déguster sans modération !
Santangelo