Ite Missa Est. La messe était dite. On avait claqué dans les mains, un peu nerveusement, sur le joyeux chant d'envoi, qui avait détonné, par sa vigueur, avec l'austérité de la célébration qui avait précédé – morceau de choix issu du répertoire du Renouveau Charismatique, envers lequel, le jeune curé, dans sa modernité, demeurait aussi ouvert que méfiant. Des pieds d'antiques chaises en paille, à l'assise basse et aux dossiers grimpants jusqu'à la nuque, avaient grincé sur les dalles en granit. L'assemblée, d'un même mouvement, s'était lentement dirigée vers la sortie latérale de la chapelle. Les hauts-parleurs, à présent, diffusaient, en fond sonore, une suite pour violoncelle de Bach. Et, petit à petit, sur le parvis, le bruit des conversations ordinaires, d'abord timides et empruntées, puis de plus en plus vives, avait pris le dessus sur la musique savante. Chacun se sentait rasséréné par ce long moment hebdomadaire de communion, durant lequel chants et lectures s'étaient succédé, sans autre dessein que le partage. Encore une fois, la célébration du mystère chrétien avait réuni les fidèles de la petite localité dans une atmosphère, un peu irréelle, de paix et de joie. Lors de la prière universelle, on avait évoqué les enfants de la guerre ; durant la quête, on avait vidé les porte-monnaie des petites pièces et des billets froissés ; pour recevoir l'hostie consacrée, on s'était avancé, rang par rang, en file indienne, jusqu'à l'autel ; et, comme c'était l'habitude, depuis de nombreuses années, le curé n'avait pas prononcé de sermon. Un calme un peu étrange régnait à la sortie, parmi les croyants dispersés, et quelques enfants jouaient à se courir après, dans l'herbe haute de la pelouse, sous le grand marronnier, sans un cri. Une lumière blanche rasante parvenait à travers son branchage, et inondait la petite foule, à la manière d'un vitrail roman, donnant à la scène son caractère authentique et un peu folklorique, comme dans un tableau d'Yves de Kerouallan. Le célébrant, à présent en tenue de ville – pantalon en Tergal et chandail – était venu serrer les mains de ses ouailles les plus ferventes. Il y avait là des paysans, de petits fonctionnaires, des retraités, des employés, et l'esprit de concorde prévalait, sans les effacer, sur les différences de condition. La musique de Bach – intermède un peu empesé et impressionnant, pour leur humilité – s'était tue. On échangeait autour du quotidien, on prenait des nouvelles des absents et on évoquait les disparus. Certains se dirigeraient vers la boulangerie, quelques-uns vers l'un des deux cafés de la commune, d'autres regagneraient aussitôt leurs maisons de campagne ou de bourg. Le dimanche midi possédait alors des vertus bienfaisantes, une aura de silence et de magie, un prestige inégalé. Le repas, en famille ou entre amis, viendrait marquer la fin de cet épisode de trêve bienheureuse, et les frères et soeurs ne manqueraient pas, à nouveau, de se chamailler jusqu'à l'avènement des pleurs. Mais, dans leurs esprits, comme dans ceux de leurs parents et des anciens, le souvenir de la messe à la chapelle resterait, toute la semaine, comme une belle histoire, telle que seules leurs traditions religieuses savaient en raconter. Je me souviens de cette petite communauté innocente, animée par la Parole, en écoutant, sur mon I-Pod, les suites pour violoncelle de Bach – seul vestige, avec la chapelle millénaire, de ce pieux passé, dont l'évocation ardente me procure encore un sentiment de grande paix, de sérénité et de confiance en l'homme, qui suffiraient presque à me rendre au monde.
Santangelo