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Billet de blog 6 mars 2019

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Sur un Air de Campagne

C'est un petit village perché sur une paisible colline des Monts d'Arrée au cœur de la Bretagne Historique, très fière de son écomusée. Une petite commune qui se dit à gauche et accueille des réfugiés dans des logements salubres...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vos Gueules les Poètes © Santangelo

C'est un petit village perché sur une paisible colline des Monts d'Arrée au cœur de la Bretagne Historique, très fière de son écomusée. Une petite commune qui se dit à gauche et accueille des réfugiés dans des logements salubres. Quelques dizaines de maisons groupées autour d'un clocher qui sonne encore de temps en temps, de sa mairie-bureau de poste et de deux garages – l'un automobile, l'autre agricole. Deux petits lotissements l'ont sauvée de l'oubli il y a une dizaine d'années. Jusque-là tout va bien.

Ça fait deux ans que je vis là, dans un appartement HLM sous les toits. Deux ans en Enfer entre l'hôpital, mon T3 et le domicile de mes parents. J'ai quarante-six ans, j'ai été journaliste radio dans les années 2000, avant de connaître des ennuis de santé. Bien heureusement, aujourd'hui tout va bien... ou presque.

Ici, les journées sont rythmées par le passage des tracteurs dans la rue principale, et les hurlements des tondeuses, des tronçonneuses et des débroussailleuses. Une horreur. Les jeunes sur leurs motocyclettes essaient de tuer le temps entre le terrain de moto-cross et le bourg, même le samedi soir.

En deux ans, ils m'auront tour-à-tour pris pour un curé pédophile, pour un homosexuel, pour un militant islamiste lorsque je portais la longue barbe et, à présent, des blancs-becs de treize ans rougissent en me traitant de « sale feuj. »

Ici, les volets se ferment à dix-huit heures et on ne laisse plus les enfants jouer dehors, même le mercredi. Quand le camion-pizzas amène des nouvelles le mardi soir, c'est en voiture que l'on vient chercher la commande.

En deux ans, alors que je passais la moitié de mon temps à l'hôpital, je n'ai jamais reçu la visite de quelqu'un de la mairie, ni d'un voisin. J'ai dû adresser la parole à trois personnes de la commune en tout et pour tout. Ici, il ne sert à rien de sortir dans les rues pour chercher quelqu'un avec qui échanger de la pluie et du beau temps – elles sont désertes.

Le bar est fermé depuis plusieurs années et le nouvel épicier n'attire pas plus les foules que l'ancien boulanger.

Depuis que je marche avec une canne, j'entends des personnes en bas de chez moi, qui attendent de me voir tomber parterre. Lorsque j'ai été voir mon nouveau voisin pour lui dire qu'on entendait toutes les conversations dans ces logements anciens, il a voulu me casser la gueule et a menacé de « m'enculer. » Dans cette France-Là, la frustration atteint son degré de rupture, et il faut marcher sur un fil pour éviter le débordement.

Depuis deux ans, j'entends des claquements dans ma bouche de VMC : vaines tentatives de manipulation, mais vrai signe de malaise.

Depuis quelques mois, quelques voitures arborent le gilet jaune sur le haut du tableau de bord, mais je ne crois pas que leurs propriétaires manifestent. A vingt minutes d'une gare TGV, on se sent éloignés de tout. Dorénavant, je fais mes courses sur Internet, et je vais les récupérer au drive-in du petit supermarché de la ville voisine. Je crois que d'autres font comme moi pour éviter de devoir baisser la tête et de se faire humilier dans le magasin.

Alors, j'essaie de partir. Je tente de trouver un pavillon HLM près d'une ville pour retrouver du travail, maintenant que la santé va mieux. Mais ça, ça méritera une autre chronique...

Saul Santangelo des Regs

https://soundcloud.com/santangelosaul

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