Chaque année, je jure qu'on ne m'y reprendra pas. Chaque année je me promets de ne pas prêter attention à toutes ces notifications qui polluent mon téléphone. Chaque année je déclare le boycott. Et, tous ans, à la fin août, c'est avec la même curiosité un peu malsaine que je m'intéresse à la rentrée littéraire, comme toujours en proie à la mélancolie des rentrées scolaires, et que je me sens obligé d'en lire un ou plus. Cette fois-ci, j'ai choisi celui qui, pour moi, était, à la fois, le plus personnel et le plus consensuel et, puisqu'en ce mois de septembre tous les romans ou presque évoquent la famille, celle qui partage avec la mienne le même berceau : le Haut-Léon et, en particulier, Saint-Pol-de-Léon. Il s'agit du bien-nommé « Finistère » d' Anne Berest, une grande fresque historique qui met à nu la branche paternelle de son arbre généalogique, en remontant à son arrière-grand-père, créateur d'une coopérative paysanne au tout début du XXème siècle, j'ai nommé « la Bretonne. » Et, comme on s'y attend avec ce genre de saga, on en a pour son argent. Avec son roman familial, Anne Berest coche en effet toutes les cases. Tout y est. Dans un débauche de moyens – stylistiques, historiques, documentaires, anecdotiques, intimes, personnels et, aussi parfois, littéraires – elle tente d'embrasser la grande histoire du siècle à travers le destin de ses ancêtres. L'exercice, qui pouvait sembler fastidieux, déployé sur plus de 450 pages, n'est pas toujours convaincant, mais le lecteur tourne les pages avec un plaisir qui doit tout au choix, quasi-journalistique, de tout miser sur l'efficacité narrative et ses effets, au détriment d'une ambition plus littéraire. La première moitié du texte ne laisse pas présager de la suite, tant les portraits du grand-père et de son père, les deux Eugène, appartiennent au folklore. Et, si j'osais, je pourrais dire qu'elle déshabille Saint-Pol pour habiller Pierre, son père, celui pour qui elle s'est lancée dans cette entreprise, son père malade, avec lequel elle veut clarifier la relation, avant une fin qui s'annonce proche, et dont on sait qu'elle clôturera le livre. Sur l'air de « Familles, je vous sème », l'auteure décrit méthodiquement les efforts de ses aïeux pour s'élever, du paysan au grand professeur, en passant par le professeur de province ; tous avec la même veine sociale et contestataire. Que Paris est loin pour Eugène-père, lorsqu'il y monte pour inscrire son fils en classe préparatoire au Lycée Henri-IV, juste avant la guerre ! Et que Saint-Pol est petit lorsque la petite Anne vient rendre visite à ses grands-parents, pendant les vacances, dans l'ambiance taiseuse de l'appartement sentant la naphtaline ! En revanche, le portrait de son père, brillant polytechnicien devenu mathématicien de génie, passé par le trotskisme et mai 68, est vraiment réussi. On sent que Anne Berest est vraiment à l'aise avec cette période et l'on s'en amuse autant qu'elle. L'histoire d'amour avec Lélia, la mère juive – dont l'histoire familiale a fait le succès de « la Carte postale » - se fond parfaitement dans le paysage du Paris révolutionnaire des années 70 et, bien que fourmillant de détails plus vrais que nature, le tableau reste voilé d'une pudeur bienvenue. Pourtant, le plaisir du lecteur se révèle presque pavlovien, face à ces petits chapitres, tous construits sur le même schéma et qui lui distribuent un « petit su-sucre » à chaque fois qu'il avale un bout de la biographie. À dire vrai, on a parfois du mal à y croire. Tant, on le répète, Anne Berest coche décidément toutes les cases pour séduire. De l'école normale à Polytechnique, de la Résistance au Sida, des paysans à la LCR, des Juifs aux cathos de gauche etc. : tout est là ! La dernière partie, consacrée à ses propres ressentis face à la mort du père, est moins intéressante. Au final, on passe quelques heures agréables à tourner des pages écrites en gros caractères, et on avale le tout sans l'indigestion qui plane comme une menace au-dessus de ce genre de récits. Tout ce travail était-il vraiment nécessaire ? Que dire du message politique sur l'école républicaine ? Et l'on se prend à regretter que les romans populaires passent de nos jours après les romans « grand-public. » Comme un avant-goût de cette rentrée littéraire, qui semble toute entière consacrée aux généalogies électives... pour une sélection sociale pas si naturelle qu'on voudrait le croire.
Santangelo
 
                 
             
            