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Billet de blog 7 décembre 2025

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Sur un Air de Campagne (540)

« On dirait qu'il est temps pour nous d'envisager un autre cycle. » Noir Désir

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Soleil Très bas © Santangelo

La semaine dernière, ou était-ce déjà le mois dernier ?, en allant prendre mon pain à la boulangerie du village, comme chaque semaine – puisque je congèle – je suis tombé nez à nez avec une bouteille de Beaujolais nouveau. Je n'en avais pas croisé depuis des années. Et me sont revenus en mémoire tout un tas de souvenirs de soirées avinées jusqu'au pitoyable, de fêtes alcoolisées, de bitures tristes, de soûlographies ordinaires. Fort heureusement, tout cela est très loin. Ce dont je me souviens, à propos du Beaujolais nouveau c'est qu'il tordait les boyaux. Il paraît que sa qualité a été largement revue à la hausse. Chaque année, il avait aussi un petit goût de banane. Et, de verre en verre, c'était déjà la nouvelle année. Bananée !

Tous ces gens qui montrent du doigt, accusent et condamnent, tels de petits procureurs, tentent d'abord de vous imputer des fautes d'orthographe, avant d'en faire référence à la loi puis, si ça ne suffit toujours pas à vous effrayer, s'en réfèrent à la morale. La plupart du temps, ils finissent par vous prêter des mœurs contraires aux bonnes manières et, puisqu'en ce domaine ils sont les seuls, ils vous déclarent forcément coupable.

Ce week-end, j'ai installé une bibliothèque dans mon appartement. Deux étagères « Billy » de chez Ikea, que j'ai réussi à faire acheminer depuis Brest jusqu'au village, et du camion jusqu'à chez moi, après bien des péripéties. J'y pensais depuis longtemps, mais je me contentais de profiter de mes livres en les regardant, en piles désordonnées, dans le rêvoir, de temps en temps. Je n'en reviens pas d'avoir acheté, lu et chroniqué tous ces textes depuis mon arrivée. Satisfaction du travail accompli. Je vais tenter d'en profiter. Je n'avais pas possédé de bibliothèque depuis la fin de mon activité de vendeur de livres d'occasion sur Internet, il y a déjà presque quinze ans. Je suis presque intimidé par mes propres lectures. C'est comme le début d'une nouvelle aventure.

Lu « le mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli. J'avais eu très envie de le lire, à sa sortie, en 2022 et, pour une raison ou pour une autre, je ne l'avais pas fait. C'est « Kolkhoze » qui m'a ramené vers la Russie. Et le résultat est bluffant. Sous la forme de confessions, on assiste, aux premières loges, à la transformation politique de la Russie, depuis la chute du communisme, jusqu'à la guerre en Ukraine. En guise de « petite souris » qui côtoie tous les hommes qui ont compté depuis trente ans dans ces contrées, et nous plonge dans leur quotidien, un conseiller politique imaginaire de Poutine, qui semble tirer les ficelles du monde, et jouer avec la réalité comme un metteur en scène de théâtre. Le dispositif est convaincant et le résultat brillant. De la vie quotidienne de son père, fonctionnaire du régime soviétique, jusqu'aux excentricités des oligarques des années 90 et à leur bannissement par Poutine, rien n'échappe à cette éminence grise à la fois partisane et désenchantée, un brin mégalo, et une histoire sentimentale vient même se greffer sur le récit circonstancié de ces années folles pour la Russie. Si, depuis « le Prince » de Machiavel, l'on sait que la place de conseiller du chef est la plus enviable de toutes, da Empoli n'oublie rien de toutes les techniques de manipulation de l'opinion qui servent à asseoir un pouvoir solide malgré le chaos de l'histoire en train de s'écrire. Et il parvient même à dissiper tout soupçon de complotisme grâce à un effet de réel vraiment saisissant. Une plongée extraordinaire dans l'ordinaire des « grands fauves » et des « loups » de la Russie contemporaine, qui restera dans les mémoires comme un avertissement. Grand Prix du roman de l'Académie française.

Mémoriser c'est apprendre et se remémorer c'est choisir. Le choix c'est la liberté. Je suis libre de me souvenir.

Étrangement, je n'ai jamais ressenti le besoin de parler de mes lectures.

Santangelo

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