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Billet de blog 8 juin 2019

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Sur un Air de Campagne (51)

Auparavant, les gens qui me poursuivent sans que je sache pourquoi réussissaient à me casser les dents. J'en ai perdues cinq. A présent, ils se contentent de me casser les ongles. Mais ça me casse toujours les couilles... Aujourd'hui, je sors trois Prix Nobel de mes souvenirs pour essayer de faire la paix...

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Bon Vent Eugène ! © Santangelo

Sartre a écrit « la Nausée. » C'est un roman paru en 1938. C'est un bouquin génial. Le problème c'est qu'il a tout mis dedans. Le reste de son œuvre n'est qu'une longue digression sur ce premier livre. On peut lire aussi « les Chemins de la Liberté. » Il faut regarder la date de parution. Et « l'Ëtre et le Néant » ; une longue dissertation pour mieux comprendre « la Nausée. »

Tout le reste est nul. Tout le théâtre est à jeter. Malheureusement, c'est ce que les thuriféraires ont retenu. Et il se trouve encore des gens pour monter ses pièces.

« Le Diable et le Bon Dieu », sa pièce la plus connue, se résume ainsi : Petit-Blanc et Petit-Noir sont mes deux petits Génies-Amis. Un sur chaque épaule. Lequel sur la gauche ? Lequel sur la droite ? Lequel écouter ? Faut-il préférer Petit-Rouge, celui qui est dans ma culotte ?

« Les Mouches" n'est pas plus ardue. J'ai de grosses lunettes à triple-foyer. Et on m'appelle « la mouche ; » Je vais souvent me coller à la vitre pour regarder dehors. J'ai peur qu'on m'écrase. Pourquoi je ne peux pas voler de mes propres ailes ? Vais-je me tuer si je m'élance par la fenêtre ?

« Huis-Clos " et "les Mains sales" idem. J'aime Castor. Mais elle me trouve laid. Elle préfère un bel Américain. C'est pourtant moi qui ait bâti la maison avec ma queue. Je m'en fous, je vais tuer le Tsar de la toutes les Russie !

Sartre s'est même essayé à l'autobiographie dans « les Mots. » Je suis dans le bureau de Grand-Papa. Il y a des livres dans les rayonnages. Je suis petit et j'ai envie de faire pipi. Je suis en habit d'intérieur. Un peignoir en soie. Chacun pour soi et tous pour moi. Je prends un livre mais j'aurais préféré prendre la bonne à papa. Mais elle n'est pas là ; est-elle passé de vie à trépas ?

« La Question juive » ? Encore plus facile à résumer : je me les frise.

Pourquoi fait-on encore étudier les pièces de Sartre à des élèves ? C'est un mystère. Peut-être y-a-t-il encore des gens pour croire que « Libération » est un journal fondé en 1944... Il suffit pourtant de se rappeler que Christine Bravo a tenu la rubrique Education du journal à ses débuts, avant de finir par écrire sur les petites bêtes, pour comprendre.

Pour faire tenir Sartre sur son piédestal, on lui a collé un double, un contraire plutôt qu'un opposé. Camus. L'histoire des idées a préféré ce dernier. Et les partisans de la Révolution ont tous fini par préféré leur mère.

Dans ses Champs Elysées de pacotille, Jean-Sol ne comprend pas. Camus pousse un rocher jusqu'en haut d'une montagne. Le rocher retombe en bas. Il recommence jusqu'à plus soif. L'histoire a retenu cette métaphore. Les amateurs du théâtre de Sartre feraient bien d'aller voir chez lui. Mais attention de ne pas prendre le rocher sur la tête !

Du temps où « Libération » était encore un journal littéraire, il avait offert une page entière aux grands écrivains du temps pour qu'ils répondent à la question : « Pourquoi êtes-vous devenu écrivain ? » Beckett avait répondu laconiquement : « Bon qu'à ça. » Et le journal avait laissé le reste de la page en blanc. Je ne crois pas que Sartre eût répondu. Lui-même ne voulait pas être reconnu comme un écrivain. C'est pour cela qu'il a refusé le Prix Nobel. En France, il savait qu'on n'aime pas les écrivains et les poètes. On leur préfère les Grandes Idées et les pièces à clefs. C'est aussi pour ça qu'on continue de monter ses pièces minables. Pour cacher « la Nausée », son chef-d'oeuvre littéraire des débuts.

Mes voisins, dans mon HLM de campagne, n'ont probablement pas lu Beckett. Ils ont sans doute étudié une pièce de Sartre au lycée, ou bien « l'Etranger. » Avec ça, on leur a dit qu'ils étaient armés pour la vie. Ils n'ont sans doute pas bu de Gris rosé sur les bords de la Méditerranée, ni de Whisky dans les caves de Saint-Germain, pour essayer d'en savoir plus. Ils ne lisent même plus Libération ni Le Figaro. A seize ans, ils ont choisi entre le Diable et le Bon Dieu ou entre leur mère et la Révolution. Ils continuent à vouloir me lapider parce que je chante des chansons légères. Ils ne savent pas que le rocher que je pousse chaque jour jusqu'au sommet de la colline sur laquelle se dresse le village est bien plus lourd que leurs cailloux, et menace chaque nuit de m'écraser. Comme une mouche. Ils ne savent sans doute pas que la nausée d'autodidacte qui me prend parfois en buvant mon café au lait, a un rapport avec leur ignorance inquiète – qui me fait bien plus peur que leurs menaces de mort quotidiennes. Ils ont probablement étudié une pièce de Sartre au lycée.

Je me contente pourtant de ramasser les cailloux qu'on veut me jeter à la figure. Et de les faire passer d'une poche à l'autre. Car mon mal est innommable. Et mon bonheur fait de tout petits-riens.

Personne en France ne reconnaîtra jamais que les petits cailloux que Molloy fait passer d'une poche à l'autre pour ne pas perdre le fil de sa vie, en disent bien plus que les pavés de Sartre et les les rochers de Camus. Personne ne reconnaîtra jamais, dans ce pays qui se gargarise d'idées, que la page presque blanche de Beckett dans « Libération » en dit beaucoup plus que tous les discours de nos pompeux philosophes. Mes voisins n'aiment pas mes chansons...

L'Existence précède-t-elle l'Essence ? Vaut-t-elle plus cher que le gazoil ? Faut-il faire une révolution humaniste ? Mais, puisque je vous dit que je ne suis bon qu'à ça !

Saul Santangelo des Regs

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