Il y a quelques nuits, j'ai rêvé à Monsieur Cullighan. C'est ainsi que nous surnommions le technicien qui venait changer les bonbonnes d'eau à la fontaine et réparer la machine à café. Si j'ai eu un privilège durant mes années de travail, c'est bien le seul : du café gratuit. Je n'avais pas pensé à lui depuis des années. Présage ou présence ?
Les rêves aussi ont des racines.
Au cours de mes recherches récentes afin de trouver un appartement ou une maison, je ne sais pas trop encore, mais il me faut décidément un peu plus de tranquillité, j'ai eu la bonne idée, en surfant sur les sites dédiés, de photographier l'appartement dans lequel je vis, au cœur des Monts d'Arrée, depuis maintenant huit ans. Je n'ai jamais activé la caméra de mon smartphone et je ne prends que de très rares photos. Mais celles-là m'ont fait un bien énorme. Finalement, c'est peut-être pas si mal... (l'adage fameux : se regarder, se désoler, se comparer, se consoler...) Il va falloir que je fasse la même chose avec mon visage...
Qu'est donc devenu l'homme qui s'était fait greffer un visage, dans les années 2000, à la suite d'un accident, qui lui avait entièrement brûlé la face ? C'était le premier de la sorte. On en a beaucoup parlé à l'époque. Je crois que le donneur, lui aussi victime d'un accident, s'était fait prélever juste avant (après?) sa mort. Qui les reconnaîtrait aujourd'hui parmi tous ces gens émus par l'histoire, il y a déjà si longtemps ?
Je poursuis, tant bien que mal, la découverte que j'ai entreprise de l'actualité du roman graphique. Au programme, ces derniers jours : « Kiki » de Catel et Bocquet, une biographie joyeuse et documentée qui, sur plus de 400 pages, nous plonge dans le Montparnasse des années 20. Ils y sont tous, ces peintres des grandes années de la Bohême, mais l'ouvrage reste un peu trop sage à mon goût. Ensuite, le multi-primé «Deux Filles Nues », de LUZ, qui suit la vie d'un tableau peint en 1919, en Allemagne, par Otto Mueller, à travers le siècle dernier, jusqu'à nos jours. Là aussi, la narration est bien sage mais, si le scénario manque de fantaisie, le dessin est tout simplement génialissime ! Ça devrait être ça une bd : raconter une histoire avec des dessins originaux. Je suis d'accord avec la quatrième de couv : ce livre est vraiment une œuvre d'art. Enfin, avec « Au-dedans » de Will McPhall, je me suis glissé avec bonheur dans la peau d'un jeune dessinateur introverti, dont les pérégrinations rêveuses dans New York, vont être bouleversées par le cancer de sa mère et la rencontre avec une oncologue. Ici, c'est la même chose. La fantaisie et l'originalité du trait, le passage du noir et blanc à la couleur, la singularité de l'objet, ne suffisent pas à sublimer les clichés présents tout au long de l'histoire. Peut-être que j'aurai plus de chance avec « Yellow Cab » de Chabouté, d'après le roman de Benoît Cohen, qui suit les traces d'un réalisateur français tenté par l'aventure de la conduite d'un taxi new-yorkais. Mais j'ai bien peur que, cette fois, ce ne soit le contraire. Bref. Puisque j'ai du mal à lire, et que je n'ai pas mis les pieds dans un cinéma depuis plus de douze ans, j'avais placé beaucoup d'espoir dans le roman graphique. (Pour info, « le Cas David Zimmerman » a obtenu le prix des Inrocks il y a quelques jours.) L'euphorie des débuts est-elle déjà en train de retomber, devant la pauvreté de l'offre ? À suivre...
Santangelo