« Ubu Roi », la fameuse pièce d'Alfred Jarry, débute par un tonitruant « Merdre ! » Le mot sera scandé, comme un mantra, une bonne centaine de fois, rythmant la logorrhée du Père Ubu et ses invectives gratuites. Il en produit à volonté, en projette sur ses ennemis et en balance à la face du monde. C'est à la fois son arme, sa fierté et sa religion. Où en est-on avec la scatologie aujourd'hui ? Pas vraiment plus avancés, si j'en crois quelques petites expériences quotidiennes récentes. Et pourtant, on rit... Zutre, alors !
Ubu veut devenir Roi de Pologne, en raison de la cupidité, de la soif de pouvoir et de l'aigreur vaniteuse de la Mère Ubu. Leur relation est largement décrite mais on ne sait pas grand-chose de leur sexualité. Il faudrait peut-être ajouter une catégorie à notre classification moderne des comportements sexuels, à côté des hétéros-ploucs et des LGBTQIA : les couples ubuesques – qui fonctionnent à l'ambition féminine, au mépris, et aux lancers de caca-boudins.
« Ubu Roi » a été écrite par des lycéens rennais, à la fin du XIXème siècle, dont Alfred Jarry. A posteriori, il semblerait presque, que tous les 'grands événements' qui ont marqué le XXème siècle, aient pris la pièce, à l'envers, comme une notice, au premier degré, de l'horreur guerrière. Nos lycéens d'aujourd'hui ont-ils toujours la même verdeur, la même inventivité langagière, la même fougue imaginative, et le même humour ? Rapprelons que le personnage du Père Ubu a été crée sur la modèle de leur professeur de physique, Monsieur Hébert. Où se cache le nouveau Jarry ? À Sciences Po Paris ?
À la toute fin de la pièce, on apprend, ce que l'on présumait déjà, en suivant le parcours ridicule et veule du Père Ubu, à savoir qu'il est Français. Il avait été Prince de Castille et était devenu Roi de Pologne, à la suite de pas mal d'avanies. Et puis, il revient en France, à peine calmé, malgré ses nombreux déboires, dans ses ardeurs belliqueuses, sa soif de pouvoir et d'argent, et son appétit de nourritures grasses. Français ? Vous avez dit « Français » ?
Avant la chanson qui clôt la pièce (et que je chante dans ce billet) le texte se termine par cette réplique grandiose : « S'il n'y avait pas de Pologne, il n'y aurait pas de Polonais. » Et si « Ubu Roi » n'avait pas été publiée, y aurait-il autant de situations ubuesques ?
La plus grande scène de bataille – il y en a plusieurs dans « Ubu Roi » - se déroule en Ukraine. Mais, bien sûr, toutes ressemblances avec des personnages existants ou devant exister, dans les cent-vingts années qui ont suivi, seraient purement fortuites et involontaires.
« Merdre » à celui qui lira !!!
Santangelo