Souvent, lorsque quelque chose ne tournait pas rond, à la maison, mon père lâchait, mystérieux, et en détachant bien les syllabes : l'OR-GA-NI-SA-TION ! Il voulait évidemment parler de la faculté à ordonnancer et planifier les projets, mais je ne pouvais m'empêcher d'y voir un appel à une force occulte, une vague menace, la preuve de son appartenance à un système secret, hors de ma portée : le sceau de la Mafia.
Cette semaine, par le vélux, à la vitre duquel je suis collé plusieurs heures par jour en hiver, pour profiter du chauffage installé juste au-dessous, et beaucoup moins au printemps, j'ai aperçu un homme promenant un chien attaché à une laisse blanche. Je me suis demandé si le chien était aveugle.
Depuis plusieurs mois, dans la presse, la ville de M., la petite ville moyenne la plus proche de mon village, connue pour son viaduc et son ancienne Manufacture des Tabacs, à quelque vingt kilomètres de mon domicile, fait l'objet d'une étrange exposition, d'une mise en lumière pour le moins surprenante : elle serait devenue une plaque tournante de la drogue, en particulier de la cocaïne, dont l'ombre menaçante, tel celle d'un cartel, menacerait la tranquillité légendaire. Après un article dans « Le Monde », ce fut au « New York Times » de relater son addiction à la coco, dans une enquête sérieuse. Quand, mardi soir, lors de sa dernière grande apparition télévisuelle, le président Macron, lui-même, en a parlé, je me suis dit qu'il était peut-être temps d'arrêter de fumer.
Je connaissais la formule, d'après une vieille publicité de la télé, mais depuis ces derniers mois, j'ai pu vérifier sa grande pertinence : le bonheur c'est simple comme un coup de fil. Tous les soirs, après le café, alors que je n'en avais jamais pris l'habitude, même quand plus jeune je vivais au loin, je discute avec ma mère au téléphone, durant quelques minutes, et je prends beaucoup de plaisir à évoquer, le plus souvent avec légèreté, les sujets les plus variés. Mais, invariablement, ma digestion me porte à parler de nourriture. Et de lui demander ce qu'ils ont mangé, de me souvenir de vieilles recettes, d'évoquer ses spécialités, de commenter son menu. Aussi incroyable que ça puisse paraître, alors que je mange des pâtes deux jours sur trois, ces quelques phrases d'échanges culinaires suffisent à me nourrir convenablement et à bénéficier, par l'effet de la simple voix de ma génitrice, de tous les bienfaits d'une alimentation saine, variée et riche.
Lu dans le journal : « Si les poissons migrateurs disparaissaient, c'est tout qui s'écroule ! »
Depuis que j'ai un vrai lit, avec un sommier, et que je ne dors plus sur un petit matelas à même le sol, je vis dangereusement. En effet, j'avais pris l'habitude de me mettre debout d'un seul tenant, au réveil. Depuis que je dors loin du sol, à plusieurs reprises, je me suis dressé, sitôt réveillé, debout sur mon lit, oubliant que j'étais désormais surélevé, et mon premier pas du matin, dans le vide abyssal, a bien failli être le dernier.
Santangelo