Maintenant, j'aurais voulu parler, presque dans l'urgence, de « la Semaine Perpétuelle », le roman génial (vraiment ? Mais, oui, vraiment!) de Laura Vazquez, paru en 2021, mais les circonstances, de plus en plus difficiles, ne favorisent pas la réflexion, et encore moins les éloges, bienvenus, qu'il mériterait. Alors, je vais attendre quelques jours, et j'en profiterai, pour lire aussi, « le Livre du Large et du Long », à la parution duquel, elle a reçu le Goncourt de la Poésie 2023, si on m'en laisse le loisir.
C'est que, samedi dernier, au retour de ma petite promenade du soir, dans les campagnes alentour – 5 minutes de voiture aller, 20 minutes de marche solitaire dans les sous-bois, 5 minutes de Kangoo retour – en pénétrant dans la salle de bain, je fus, instantanément saisi, comme pétrifié, par une odeur très forte, une odeur pestilentielle, atroce, que j'ai fini par définir, après le choc initial, dû à l'effet de surprise, comme étant une odeur de merde et de mort.
J'avais lavé, le mercredi précédent, à la main, dans mon lavabo ébréché, la veste polaire, que je porte souvent pour dormir, et je m'étais étonné de la couleur de l'eau, jaunâtre, pisseuse, sans m'en formaliser – peut-être le tabac ? Elle était à présent presque sèche, suspendue à un coin du sèche-serviettes, qui ne fonctionne plus depuis longtemps. Localiser ; identifier ; circonscrire ; traiter. La polaire, sur le coin du sèche-serviettes hors d'usage, qui n'avait pas changé de place depuis trois jours, et trois nuits, dégageait une puanteur atroce, une odeur de merde et de mort. Je décidai de la passer sous l'eau, dans le lavabo, pour vérifier, de visu, l'information olfactive. Aussitôt, un jus noirâtre, épais, aussi dégueulasse d'aspect que l'odeur qu'il dégageait, se mis à couler ; la polaire rouge sang, de la marque « KillWox », était gorgée d'excréments, dont je n'aurais pu dire, s'ils étaient d'origine humaine ou animale. J'étais abasourdi, scotché, atterré. Je ne m'étais absenté qu'une petite demi-heure, et je n'ai confié les clefs de l'appartement à personne. Et, autour, pas une trace de saleté sur le sol en lino. Comment peut-on faire des choses pareilles ? 21 heures ? Que faire ?
Je décidai d'appeler le 17, pour tenter de prendre un rendez-vous, avec un officier de gendarmerie, dans la caserne la plus proche, sise à une vingtaine de kilomètres, malgré la réputation détestable qui m'y précéderait. J'avais besoin de parler à un être humain, mais l'opératrice, qui m'annonça se trouver à Quimper, ne m'en laissa pas le temps – à peine celui de balbutier, dans un souffle, l'objet de mon appel. Un semblant de délit.
Le lendemain, dimanche, alors qu'il me semblait que le parfum de mort merdique (ou de merde mortelle?) avait gagné l'appartement, je n'eus ni le courage, ni la force suffisante, pour descendre les escaliers, avec ma pauvre canne qui, comme vous pouvez l'imaginer, ne sert à rien, pour descendre les escaliers et, de surcroît, je ne voulais pas troubler la tranquillité du gendarme de permanence, qui avait bien droit, lui aussi, à un peu de calme de fin de semaine.
Le lundi matin, redevenu incrédule, j'ouvris le sac poubelle, dans lequel j'avais enfoui, la preuve de l'intrusion malveillante, pour vérifier, que je n'avais pas déraisonné. Une mauvaise blague ? Des oignons pourris dans les poches ? L'odeur, d'une âcreté surnaturelle, infernale, me sembla décuplée. Je chancelai. Changer le barillet de la serrure de la porte d'entrée, dans un premier temps, puis, avant midi, j'en avais le temps, déposer une plainte, assaisonnée du jet de pierre, sur ma voiture, et de tous les mauvais coups des jours précédents, à la gendarmerie. On ne peut pas laisser passer des choses comme celle-là !
Sur la route de Brico Dépôt – le fin du fin, en matière de bricolage, selon les bricoleurs de mes campagnes ; aussi indispensable, renommé et reconnu, qu'un Ikea ou un Monoprix, en ville – je croisai une première voiture de la gendarmerie. 4,90 euros le cylindre de porte, c'est bien moins cher que sur Internet. Mais est-ce plus sûr ? Puis, une deuxième voiture de la gendarmerie. Mais pourquoi donc avoir choisi le moins cher ? Est-ce vraiment sûr ? N'aurais-je pas dû, comme j'y ai pensé de temps en temps, faire installer une serrure trois-points ?
Je me garai, un peu fébrile, sur le petit parking de la caserne ; j'hésitai ; puis finis par prendre, avec moi, le sac poubelle, qui pendait, maintenant, au bout de mon bras tremblant. Avant que j'aie pu sonner, le déclic de la porte automatique vibra, et la porte, forgée de barreaux bleu marine, s'ouvrit, comme la gueule d'un loup. Comme si j'étais attendu. Merde ! Celui-là, je le connais ! Bonjour. Bonjour, c'est pour quoi ? Le trouillomètre à zéro, je tentai ma chance. Mais, visiblement, il n'était pas question que je dépose une plainte. Mais je vous connais, vous ! Vous habitez où ? Vous aussi vous avez embêté les gendarmes, à une époque... Je le sais, j'ai déjà été vous chercher à votre domicile, pour vous emmener à l'hôpital ! Ça veut dire que quelqu'un a les clefs ! Y'a un problème, là ! Vous le comprenez, ou pas ? On ne fait d'analyses pour des délits mineurs ! S'il s'était agi d'un meurtre, je dis pas... mais, là, non, on ne fait pas d'analyses ! Rentrez chez vous ! Et surveillez vos fréquentations...
En sortant, j'étais presque soulagé de me retrouver libre... Mais à qui il me fait penser ? C'était comme si je l'avais toujours connu... Comme si je ne connaissais que lui, depuis longtemps... Le tout en se caressant les avant-bras, et les biceps, qui saillaient, sous le polo à manches courtes. Et en croisant les jambes, bien que toujours en station verticale.
La fois dernière, j'avais fait appel à un serrurier, pour qu'il vienne m'installer, le barillet, que j'avais acheté sur Amazon. Il ne m'avait pris que 50 euros, et m'avait donné l'astuce pour le faire moi-même. Un petit tuto pour vérifier. Un tournevis, et le tour est joué. Et j'étais, à nouveau, en sécurité. Vraiment ? Ben, oui, non ? Pourquoi ? Vérifier l'ordi, l'argent, le lit, le rêvoir, repasser la serpillière dans la salle de bain. Se laver.
Après ça, j'avais toujours envie de raconter mon histoire, et je continuais à penser que l'on ne doit pas laisser passer des choses comme ça. Que faire ? Vais-je sombrer pour de bon ? Écrire au Procureur de la République ? Près le Procureur ? Il y a quatre ans, ça n'avait pas marché. Peut-on déposer une plainte, près le Procureur, par mail ? Encore ce maudit téléphone connecté... à vendre, pas cher, kits de crochetage.
Le reste de la semaine est passé, avec son lot d'emmerdements habituels, mais qui me semblèrent amplifiés, comme si les quolibets et les insultes étaient criés dans un porte-voix, et je réussis à lire « la Semaine Perpétuelle », de Laura Vazquez, ce qui me consola un peu (car c'est vraiment génial, mais sans rapport aucun avec ce qui m'est arrivé.) Mais je n'arrivais pas à me délester de mon sac poubelle ; c'est ma mère qui m'avait offert cette polaire, rouge sang, il y a des années, pour un énième séjour à l'hôpital. Je l'ai déposé sur le pallier, en attendant une solution, qui ne venait pas. Il fallait que je le montre à quelqu'un. C'est trop dégueulasse ! Il me semblait que j'avais besoin d'un regard, qui vienne confirmer l'infamie, comme si je voulais partager cette merde inconnue, pour m'en laver.
Depuis, les problèmes quotidiens se sont accumulés, et je crains de ne pas trouver la force de déposer une plainte, dans l'autre caserne de proximité. Lutter, lutter. Toute la journée. Ne pas les écouter. Essayer de trouver un peu de temps, un peu encore, pour lire et pour écrire. Ne pas laisser le mal entrer dans le cerveau. Ne pas recommencer à douter. Surtout ne pas douter ! Ne pas se laisser submerger par la méchanceté ambiante. Ne pas céder. Ne pas tuer. Même en pensée. Continuer à travailler. Ne pas se laisser contaminer par leur haine. Écrire, un peu. C'est mon histoire.
Santangelo
Note : je joins à ce billet la photo, d'une prairie du coin, que je trouve particulièrement belle. Parfois, au couchant, elle ressemble un peu à un tableau de Heade, avec les vaches. Une prairie primordiale, comme intouchée, pareille à elle-même, depuis l'aube du monde. Que mes campagnes sont belles !
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