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Billet de blog 25 octobre 2023

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Sur un Air de Campagne (429)

Un slogan pour la pré-campagne de G. Darmanin : « Toutes dents dehors ! Et moi à l'Intérieur... »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au Fils imaginé © Santangelo

Perdu dans une rêverie d'un autre âge, entre deux thés mélancoliques et un café énergique, tout entier en dehors de l'instant, je me demandai, soudain, d'où venaient toutes ces mauvaises pensées qui affleuraient à mon esprit, chaque jour, lorsque j'étais confronté à ces gêneurs au tempérament d'assassins, et contre lesquelles je luttais, pied à pied, afin de protéger mon âme. Était-ce de la haine ? Le Mal ? L'inconscient ? De la saleté ? Comment faire pour continuer à se battre contre la banalité de la haine, surtout lorsqu'elle est déguisée en humour ? Comment ne pas se laisser contaminer ?

Fidèle à ma méthode, je décidai de chercher la réponse, chez un auteur que je n'avais encore jamais lu, afin de lier le plaisir de la découverte à la profondeur du jugement. C'est une manière de faire qui demande de la patience, du temps et (un peu) d'argent, mais qui procure un plaisir véritable, lorsqu'elle aboutit. En surfant, j'ai hésité entre « Vous N'aurez pas ma Haine », un témoignage écrit par un rescapé de l'attentat du Bataclan en 2015, qui s'est retiré à la campagne  et « Mon Ennemi, C'est la Haine », un livre d'entretiens avec l'inusable Edgar Morin, qui vient de paraître, en cette rentrée, pour finalement jeter mon dévolu sur « La Haine » de Gunther Anders. Et je n'ai pas regretté mon choix.

Ce petit livre de 80 pages, publié en Rivages poche, expose une théorie originale, intéressante à tout point de vue, développée en 4 fragments, tantôt dialogués, tantôt dissertés, en jouant avec intelligence du paradoxe, de l'exagération, de l'ironie et de la provocation. Gunther Anders a été journaliste et philosophe. Né en Allemagne, il a émigré vers les Etats-Unis dans les années 30, après avoir divorcé d'Hannah Arendt, avec qui il a continué à correspondre, tout au long de sa vie. Une vie de lutte et de militantisme, au terme de laquelle on publia son œuvre, et surtout « L'Obsolescence de l'Homme », son grand livre, restée inconnue en France, afin qu'elle parvienne, comme elle le mérite, à un plus large public. Ce petit essai, petit trésor d'argumentation et d'esprit démonstratif, en sera, pour moi, la porte d'entrée. De quoi retrouver un grand rire joyeux, pour ignorer la haine cachée par la dérision, et ne pas se retrouver forcé de dissimuler son propre humour sous une haine de carnaval, même vidée de sa substance nocive, aussi dangereuse pour celui qui la pratique, que pour celui qui en est l'objet. Et se remettre à penser juste, en n'ayant pas honte d'avoir raison avec un homme de paix, plutôt que d'avoir tort avec tous les va-t-en-guerre, malgré les usages, dans ce beau pays toujours à la traîne d'une révolution.

Pour cela, Anders adopte un angle original : celui de la guerre qui, pendant des siècles, a catalysé une grande partie de la haine, et pour laquelle des générations ont été éduquées – délaissant, le temps de son essai, toute référence à l'amour.

Voici ce que ça donne :

1/ La haine comme miroir de l'ego. Je hais donc je suis. Et plus je hais, plus je me sens vivant. Ne m'enlevez pas ma haine, ou je cesse d'exister.

2/ Si nous ne haïssons pas la haine, nous devenons des complices des dégâts qu'elle occasionne. Car les gens du peuple ne combattent pas ceux qu'ils haïssent, et que le pouvoir leur a désignés comme ennemis, c'est parce qu'ils les combattent qu'ils les haïssent.

3/ Pour faire la guerre, avec les technologies du XX ème siècle, les soldats n'ont plus besoin de haïr leurs ennemis, puisque, depuis la Première Guerre mondiale, il n'y a plus de combats en corps à corps, ni même de champs de bataille. La haine est devenue inutile.

4/ De nos jours, après la Seconde Guerre mondiale, il vaut mieux tuer sans haïr que de haïr sans tuer. La guerre est devenue un travail comme un autre. Et le pilote qui a largué la bombe sur Hiroshima ne peut même pas imaginer qu'il faille haïr son ennemi. Il n'en a même aucune représentation. Il tue un ennemi qui n'existe pas. C'est son job.

Le tout encadré par l'idée sous-jacente que ce sont les pouvoirs qui instillent la haine au peuple, souvent à contre-temps, désignant parfois A comme objet de haine, alors que c'est B qu'ils veulent éliminer. Et Anders finit pas se demander s'il ne faudrait pas regretter le temps de la haine, comme une époque bénie, car elle donnait aux individus une « humanité » qui a disparu, derrière les machines. Alors que chacun est devenu, dans son cœur gelé, un petit soldat, qui se trouve, à la fois, sur le « front » et « à l'arrière. »

Pour poursuivre la réflexion, si la guerre du XX ème siècle était devenue un simple travail, on est en droit de se demander, alors que tout ça a été relégué dans un passé lointain, si ce « travail sans haine » ne s'est pas mué, au XXI ème siècle, en un jeu sans plaisir – la guerre ayant abandonné sa réalité au profit des images de guerre - un jeu sans fin, qui ne fait que des perdants. Comme depuis toujours ?

Santangelo

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