Pourquoi se battre ? Et contre qui ? Cette question hante depuis cette funeste dissolution solitaire qui entraîne le pays vers sa ruine. Puisque toujours renaissent les spectres de la bêtise, de la fierté, de l’ignorance et de la haine.
La faute à qui ? L’éducation fut notre salut et notre victoire. Nous le croyions. Le ventre d’où est sorti la bête immonde devait périr par les livres. Il n’en fut rien. La culture est simplement devenue un instrument de classe, un de plus, un de trop. Ces intellectuels qui avaient grandi par cette voie se sont mis à hurler avec les loups. Et ceux qui voulaient grandir sans effort ont rejoint la meute.
Toujours cette répétition. J’aimerais tant savoir faire rire de ces tragédies. Mais je n’ai pas ce talent. Le narcissisme est finalement la cause de notre vide, celui de ne pas savoir s’effacer devant la grandeur des idées, des causes. Chacun se pense l’artisan d’un monde qui s’arrête à soi même. C’est notre drame un peu pathétique. C’est le drame de nos hommes politiques, tellement convaincus d’un destin sans principe. Le pragmatisme et l’autoritarisme. Et cela se décline et infuse. L’individualisme. Et puis la violence.
Bien sûr, il faut comprendre et accueillir. Mais il faut aussi refuser de se taire, l’humilité face à la pensée. C’est, je crois, ce chemin qu’il faut entreprendre ou revisiter. J’avais tendance à dire, jeune, que les études accompagnaient la modestie, apprendre c’est prendre conscience de l’étendue de notre ignorance. C’est là ce que nous avons perdu. En sachant, nous voulons assumer notre domination. Recommençons à être humbles avant qu’il ne soit trop tard.
Les problèmes du monde sont vertigineux. Le sursaut républicain a été une incroyable surprise des forces démocratiques. Il a rassuré sur la capacité de la France à continuer de défendre des valeurs, à continuer de croire en la force de l’égalité. Mais cette victoire a aussi manifesté nos fragilités et notre fragmentation. Indiquer que « personne n’a gagné » à l’issue de ces élections n’est malheureusement pas erroné.
L’écrire par calcul politique est une faute morale impardonnable de la part d’un président dont le rôle doit être de protéger la démocratie. Il ne le fera pas. Il ne l’a jamais fait. Il l’a livrée à ses pires ennemis sans hésitation et, encore une fois, sans morale. Le spectacle de sa recherche d’une misérable alliance avec la droite pour s’accrocher à l’once de pouvoir qu’il a, par sa faute, perdue montre à quel point sa grandeur est une petitesse qui s’arrête à son nombril.
Il ne comprend donc pas que la traîtrise, un jour se retourne contre ceux là même qui tiennent le couteau. S’obstiner à ne pas entendre le message envoyé par trois fois, en 2022 puis en 2024, ne fera naître que de la colère légitime contre nos institutions qui permettent ce déni démocratique. Le ressort de la haine.
La gauche ne se porte guère mieux. Revoilà les logiques d’appareil, quel parti majoritaire ? Qui pour incarner le « nouveau Front Populaire » ? Et les discours péremptoires qui font l’impasse sur la réalité, méprisent le vote des français, « rien que le programme, tout le programme », « nous avons gagné.»
Ces batailles ne sont pas à la hauteur de la responsabilité immense qui devrait préoccuper les dirigeants de ces forces progressistes. Ils devraient être aujourd’hui en capacité de faire des propositions, de prendre l’initiative. Au lieu de quoi, ils se réunissent en conclave pour désigner un premier ministre putatif qui ne le sera jamais ou alors pas longtemps, faute d’avoir su élargir sa base électorale et son projet. Avec, là encore, un narcissisme vaniteux, ami de la crise de la représentativité.
Que faire alors ? La théorie des « trois blocs » n’a pas de consistance. Il faut peut être commencer par cela. Aucun des « blocs » (NFP, centre, extrême droite) n’a simplement pensé le monde, ne lui a apporté une utopie visionnaire capable d’en donner un sens. Les réponses apportées sont celles d’un passé mythifié ou d’un avenir de vainqueurs qui laissent les autres mourir ou survivre. Faute d’un projet, la représentation nationale oscille sans débat, sans idée.
Le message des électeurs est de ce fait peut être celui là depuis 2017 et le pari raté et fautif du Président de la république : Puisqu’il n’existe aucun programme, aucune vision, au moins faisons en sorte de trouver des solutions pratiques de manière apaisée, sans considération pour le parti politique d’appartenance.
L’urgence est donc d’abord au changement de régime, faire respirer la démocratie et le régime parlementaire à la condition de l’ouvrir aux corps intermédiaires, aux intellectuels, aux citoyens. De ce foisonnement naîtront d’autres manière de voir, d’autres regards qui débattront ensemble dans des limites acceptées, sans tolérance pour les insultes, les idées contraires à l’idéal démocratique.
Il sera ensuite possible de reconstruire des corpus de compréhension du monde, nécessaires à la confrontation et à la circulation des idées. La nouvelle configuration de l’assemblée nationale permet cette chance immense, celle de pouvoir, enfin, installer un rééquilibrage des pouvoirs si indispensable à l’époque que nous traversons. Refuser d’en prendre la mesure serait criminel pour notre pays. Il faut donc faire de cette bataille la première en refusant la logique majoritaire de la Veme république et en recherchant dès maintenant des compromis. C’est à la gauche que revient la responsabilité historique de montrer le chemin.