Bref, les facteurs se sont accumulés : le Covid, mon âge, et les brusques changements de lois auxquelles je dois m’adapter. Je fais ce que je peux, mais je n’y arrive plus très bien. Me voilà donc à la découverte du RSA, et je dirai même plus, du RSA « nouveau ».
Je ne suis pas dupe du pourquoi je me retrouve involontairement dans cette aventure, mais j’ai le sentiment que s’est un peu trop soudain, un peu trop général, que les luttes ne sont plus à la hauteur des coups de canons que l’on reçoit et que, dans ce nouveau jeu, je suis tout à coup démunie et non plus la passeuse qui pouvait aider les autres pour un bout de chemin.
Pour aller vite, le chômage je connais bien, j’appartiens à cette catégorie dite « favorisée » : les intermittent·es. Mais là, j’ai perdu toutes mes vies.
La retraite, j’étais sur le point de penser bénéficier de ce nouveau statut, quand tout à coup ! le recul de son avènement m’a permis de procrastiner. Je rame vers un horizon qui s’éloigne toujours et je crois bien qu’on m’a piqué les rames.
Nouvelle entrante à ce club, de moins en moins fermé, des bénéficiaires du RSA, je découvre le site de la CAF. Là, je ne coche difficilement que quelques cases. Jusqu’à : nom, prénom adresse, ça va, ce qui est déjà pas mal parce que j’imagine aisément que ces cases-là ne sont ne pas forcément simple à remplir pour tout le monde. C’est à la question « avez-vous travaillé ? », que je bug, ben oui, un peu, de temps en temps, pas assez, mais l’option n’existe pas. J’espère que je pourrais préciser ma situation au fur et à mesure du questionnaire. Je ne suis pas sûre de moi, je ne veux pas faire de fausse déclaration, mais j’ai du mal à décoder les règles, je ne voudrais pas passer à côté de ce qui peut m’aider, un peu, à survivre au moins temporairement. Je me dis que je ne suis pas plus stupide qu’un·e autre, que je dois me faire confiance aux institutions. Que tout va bien, j’inspire, j’expire, je chasse mes angoisses, je surmonte les écrans de « maintenance en cours », je ne sais plus, je me lance, comme pour une traversée tumultueuse.
Je pars à la découverte de ce service public (sic). C’est comme un voyage initiatique avec sa jungle administrative, ses méandres de fleuve impétueux, ses labyrinthes très artificiels, ses culs de sac très citadins, ses pièges forcément bien camouflés et ses chasseurs armés qui vous poursuivent pour rendre l’aventure plus haletante… avec au bout de la carte au trésor, un Graal annoncé de : 607,75 euros, mensuel. Un jeu d’aventure dont je suis l’héroïne qui doit savoir se débrouiller, ce fameux mot qui t’explique que tu vas sortir du brouillard alors que tu t’enfonces dans les embrouilles.
Je reçois, un premier versement de 476,72 euros, oh la la, youpi, je suis assez pauvre donc ! Mais, je ne comprends pas pourquoi, ce n’est pas ce qui dit dans la règle du jeu à ma disposition, ça ne correspond à aucun montant annoncé par la CAF et la période d’indemnisation annoncée correspond à une période où j’ai travaillé. Je m’inquiète, en cette période de disette, je me dis que je ne pourrai sans doute pas, sans douleur, rembourser ce montant. Presque avoir le droit à quelque chose m’inquiète plus de n’avoir le droit à rien tant le document ne correspond pas à la réalité. Je mets donc ma phobie de l’administration de côté, lentement mais sûrement, j’avance, toujours j’avance !
J’ai peur, l’angoisse, se rajoute à l’angoisse. Toujours impossible de prendre rendez-vous avec la CAF, le téléphone est saturé et au mail on vous répondra peut-être un jour : cette semaine promis, ben non la semaine prochaine peut-être. Heureusement, (LOL) j’ai accumulé assez de points pour prendre rendez-vous avec une assistante sociale. Enfin, peut-être une réponse.
Ben, pas vraiment, malgré sa bonne volonté, elle ne sait pas pourquoi je touche cette somme. Mais j’ai le droit à un indice : il y a une déduction du montant annoncé pour la « participation au logement ». Malgré sa motivation, cette passeuse n’a pas plus à m’offrir que cette petite barque fragile pour comprendre la carte qui n'est pas tendre du tout, elle ne peut pas joindre la CAF pour avoir d’explications, elle n’a pas les informations… ça ne serait vraiment pas drôle si le voyage était balisé. Elle me donne pourtant au dernier moment un indice supplémentaire : mon numéro d’allocataire, celui-ci était caché derrière l’intitulé : « numéro de dossier », elle semble surprise que je n’ai pas su contourner ce piège toute seule. Forte de ces informations, je me suis donc replongée dans le site de la CAF, il est effectivement précisé que si je n’ai pas de charge de logement, ce qui est mon cas, mon RSA est réduit de 72,93 euros. Je devrais donc recevoir 534,82 euros. Le compte n’y est pas.
J’en suis là de mon avancée essayant de ne pas tomber dans les pièges de la jungle, au moment où le néon très citadin des chasseurs m’éblouis. J’habite dans un des départements « pilote » : le Vaucluse. Flûte. Je reçois un courrier à l’en-tête de : Méditerranée Formation, L’Europe s’engage, le Département du Vaucluse et un drapeau européen accompagné d’un texte en caractère 5 : du fond social européen, ces nombreux néons clignotent pour m’avertir que je suis convoquée et que j’ai intérêt à m’y rendre sous peine de suppression de mes allocations.
Je saute d’un univers à l’autre, vraiment palpitant ce jeu. Mais c’est sûr, il y a un lien entre les deux, je suis certaine de trouver dans l’urbanité quelque chose qui m’aidera à progresser dans la nature sauvage. LOL, le courrier ne m’engage pas à l’optimisme. Ça commence par : «conformément au courrier qui vous a déjà été adressé par la Présidente du Conseil département du Vaucluse… ». Ben, ce « courrier qui m’a déjà été adressé par … » je l’ai reçu 5 jours plus tard ! peut-être parce que ce dernier était en recommandé, je ne sais pas.
Aucun de ces courriers n’est signé. Je ne ferais pas ici un détail de leur sémantique ni de leur linguistique, juste, je note que j’ai un nouveau numéro, un « numéro d’individu », c’est un peu suspect non ?
Ce qui est sûr et même certain, est, que si je ne viens pas à ce rendez-vous, ben, j’irai en prison sans passer par la case départ.
la CAF m’a versé encore un peu d’argent entre temps. J’ai peur d’être rattrapée par des vautours sans pouvoir me défendre. Mais ce sont les chasseurs qui attaquent en premier, armés d’une broyeuse.
Bon, haut les cœurs, je me rends au rendez-vous, dans un organisme privé, non pas parce que les flashs psychédéliques m’ont éblouie, mais parce que : « on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise », je vais trouver un indice dans cette « escape room ».
C’est fou comme plein de chose peuvent vous décevoir. Ce n’est pas que je ne m’y attendais pas, mais je me retrouve face à une dame ayant pour seule arme un PowerPoint tout claqué, qu’elle lit sans conviction. Enfin si, elle a un message : « il faut se rendre à tous les rendez-vous auxquels le département vous demande de se rendre sinon … » et « vous signez le document qu’on va vous présenter, sinon… », « C’est comme si vous signiez avec la directrice (sic) du département donc… » Bref, j’ai mal. Je regarde les autres aventurier·es perdu·es, à la recherche de connivence, je ne suis pas mentaliste, mais je sens que c’est mal barré.
Dans toutes les situations j’essaye de positiver, à ce niveau du jeu, je me dits :
- Bon, des rendez-vous, mais concrètement, je ne sais pas pourquoi faire. Patience, ma fille, tu vas avoir un entretien per-so-nna-li-sé.
Entre la réunion, et l’entretien individuel, je me suis permise de mettre le jeu en pause, (en demandant la permission, histoire de ne pas prendre le risque d’en être exclue sans sommation) … de sortir pour fumer. Un homme me rejoint bientôt et me dit :
- Ils s’en prennent à nous, mais pas à ceux qui trichent pour avoir le RSA.
Mon sentiment se confirme, ça va vraiment être difficile de trouver des allié·es, en tout cas, lui, il croit ce qu’on lui a dit; que le jeu c’est : « Hunger Games ». Je suis désespérée intérieurement, profondément désespérée, je voudrais lui dire qu’il se tire une balle dans le pied, mais je dis :
- C’est ceux qui ne paye pas les impôts qu’ils doivent, qui triche plus
C’est moche à dire, mais, je sais que je vis en terre de fachos, il s’est détourné de moi vers un autre homme qui nous a rejoint se plaignant des conditions d’accueil que nous venions de subir, il dit :
- Y’a même pas de clim
Je me suis dit que ça allait être difficile de partager nos idées, mais j’avais quand même envie d’essayer de comparer nos expériences et de comprendre ce qui pouvait nous relier, mais avant que j’essaye de trouver une stratégie qui pourrait nous permettre une alliance pour sinon gagner ce jeu pourri, au moins ne pas tout perdre et être ensemble, il me sèche en disant :
- C’est bien, c’est comme ça que les gens vont retravailler. D’ailleurs j’en connais plein qui se sont remis au travail grâce à ça.
Purée, j’ai l’impression d’expérimenter un jeu, dont j’ai bien peur que la majorité des testeur·euses soient choisi·es de façon à le rendre le plus incohérent possible dans le but d’en valoriser les instigateurs qui accumulent de l’argent sur le dos des joueur·euses.
Alors l’entretien, comment dire, c’était au deuxième étage, puis non finalement, redescendez au rez-de-chaussée, puis allez au premier. Tiens, l’épreuve du labyrinthe 🙂.
À la première question :
- Est-ce que vous avez bien compris pourquoi vous êtes ici ?
Je lui réponds moins par bravache que pour conjurer ma peur :
- Oui, j’ai bien compris que si je ne venais pas à un rendez-vous, je serais torturée en place publique.
Vu sa tête, qui ne rigole pas du tout je réponds docilement aux questions suivantes, nom, prénom, âge, profession. Niveau d'étude : Master 2, elle a l'air un peu dépassée mais ne relève pas, il faut dire que l'association pour laquelle elle travaille est spécialisée dans l'aide à l'apprentissage du français. Profession : régisseuse, là, elle réagit, me rétorque que son frère, son beau-frère, son père, elle-même ont été ou sont « intermittents », et que c’est vachement simple, il suffit de faire un nombre de cachet suffisant, et comment ne pourrais-je pas y arriver ? Elle m’a vanté les bienfaits de la figuration, qu’il suffisait d’en vouloir et de se bouger un peu. Je n’ai pas réagi, je n’avais pas envie de tomber en points négatifs, pourtant c’était vraiment difficile de ne pas exprimer que si c’était vraiment si super la figuration pour le cinéma ou la télévision, pourquoi en faisait-elle maintenant en CDI pour Méditerranée Formation ?
À toutes mes questions sur l'accompagnement imposé, le même type de réponse : la santé, c’est pas leur domaine, l’emploi non plus, la formation certainement pas, comprendre le RSA, il faut demander la CAF, nous on vous accompagne. Où, quand, comment, cela reste un mystère, elle conclue par :
- Vous recevrez un courrier de convocation.
J’ai l’impression que le jeu est beaucoup plus compliqué que je ne le pensais, il n’y a dans cette partie aucun indice pour avancer. Même si la règle de ce côté-ci de la galaxie est simple : se rendre à quatorze rendez-vous en dix mois sans déroger. Je me demande si la règle cachée n’est pas : elle prend des points, quand j’en perds, ou un truc construit sur le modèle de la « Française des Jeux » il faut que beaucoup de monde perdent pour que quelques un·es gagnent ?
À fin de cette partie, Je dois signer ce fameux papier qui me lie à la « directrice » (sic) du département. On descend l’étage pour rejoindre la photocopieuse, elle me présente, sur un coin de comptoir, en présence de nombreuses personnes, le fameux document, qui on me l’a dit répété, redit, re-redit fait office de ma survie au bon vouloir de quelqu’un·e, je demande si je peux écrire à cette fameuse quelqu’une qui est en l’occurrence la présidente du département, puisque je signe un contrat avec elle, pour avoir plus d’explication à ce sujet, ma référente temporaire me répond :
- NON!
D’un ton ferme.
OKay me dis-je, en bonne boomeuse nouvelle dans le « game », je me tais. Pas de point en points en moins est, dans ma tête, l’objectif à tenir. Mais, bête que je suis-je lis le document. Avec toutes les injonctions que je viens de subir, je deviens un peu plus tatillonne. Je signe le document, en m’autorisant à mettre un point d’interrogation face à un rubrique pré-remplie qui est incomplète, celle qui concernait mes revenus. Émoi général des personnes présentent :
- Vous ne pouvez pas faire ça !
Je proteste :
- Je ne peux pas signer une fausse information, sans le faire remarquer.
Ça se termine, par un
- Si c’est comme ça, et ben on n’a qu’à pas l’envoyer, c’est pas grave.
Je suis en train d’assister à « Une scène d’une rare violence », je me demande si « tout le pays est-il en état de choc… » tant ça ressemble à coup de bazooka sur un pieton en train de traverser une autoroute. Ma survie, qui n’est plus tout à fait une vie, est de moins en moins « sur », pas du tout sûre, mais bien sure.
Avec leurs menaces, iels m’ont paralysée, je sors de là avec une furieuse envie de me laisser mourir, l’humiliation engendre la honte… j’ai bu toute ma honte. Pas de panique, je finis juste par me rouler en boule dans mon lit et pleurer. Ultime refuge avant de reprendre l’aventure pour ne pas perdre tous mes points. Juste, une tranche de vie tranchée. Alors j’ai laissé passer la vague de pensées pas très diverses, ni très variées qui me submergeaient, ça m’a pris du temps pour remonter les pans de cette crevasse soudain ouverte sous mes pieds, encore un endroit dont je n’ai pas les codes, je ne suis pas « l’homme des glaces », mais je suis vivante.
Une histoire, qui ne vaut rien toute seule, qui vaut seulement si d’autres personnes se disent qu’iels vivent « un truc comme ça », avec d’autres problèmes et d’autres stratégies pour les dépatouiller, mais surtout des personnes qui pensent qu’il faut mieux essayer de s’en sortir et de lutter à plusieurs plutôt que de se débrouiller toustes seul·e.