On nous parle de simplification, de suivi renforcé, d’une meilleure prise en charge.
Mais derrière cette communication bien rodée, se cache une transformation plus profonde : le glissement de la responsabilité médicale vers le patient, sommé de prouver, à intervalles réguliers, qu’il mérite encore d’être malade.
Ce qui se présente comme une mesure technique révèle en réalité une logique de contrôle — une suspicion institutionnelle à peine voilée.
Je parle ici d’expérience.
À la suite d’une fracture de la malléole externe, le service des urgences m’a prescrit sept jours d’arrêt de travail, m’indiquant qu’il fallait consulter un orthopédiste dans la semaine pour la prolongation.
Sept jours : un délai théorique, irréaliste.
Même à Paris, impossible de trouver un rendez-vous.
Hôpitaux saturés, cabinets débordés, listes d’attente de plusieurs semaines.
J’ai fini par chercher dans le privé, accepter les dépassements d’honoraires, et obtenir in extremis un créneau grâce à une annulation de patient.
Sans cela, j’aurais dû reprendre le travail, incapable de poser le pied au sol.
Combien, dans ce pays, auraient pu payer pour continuer à se soigner ?
Combien peuvent, aujourd’hui, justifier une fracture, une fatigue, une dépression, dans un système où la preuve administrative remplace la confiance médicale ?
Cette réforme part d’un présupposé absurde : que les soins sont disponibles, que les médecins ont du temps, que les patients ont les moyens.
Or, la réalité est toute autre : le système public sature, et la réforme en fait porter les conséquences à ceux qui en dépendent le plus.
On prétend lutter contre les arrêts abusifs, mais on punit surtout les malades sincères.
On dit vouloir “mieux suivre”, mais on oblige à payer pour être revu.
On parle de “simplification”, mais on ajoute une complexité administrative qui pénalise les plus fragiles : travailleurs précaires, personnes seules, patients chroniques.
Au lieu d’un soin continu, on instaure une médecine conditionnelle, où chaque arrêt devient une demande à renouveler, chaque douleur un dossier à justifier.
Ce n’est plus la santé qu’on protège, c’est le budget de la Sécurité sociale.
Et sous le vernis du “suivi renforcé”, s’installe une réalité beaucoup plus inquiétante : la privatisation silencieuse du droit au repos.
Cette réforme n’améliore pas la médecine, elle la rend plus coûteuse.
Elle transforme le soin en épreuve, le malade en suspect, et le corps souffrant en variable d’ajustement budgétaire.
À force de vouloir “réguler”, on oublie que la santé n’est pas une ligne comptable — mais une expérience humaine, fragile, inégale, parfois imprévisible.
Et qu’un État qui fait payer la preuve de la maladie ne soigne plus : il contrôle.
Note d’auteur :
Témoignage écrit à partir d’une expérience vécue à Paris à l’automne 2025, dans un contexte où les délais de consultation et la pression sur les services hospitaliers rendent toute prolongation d’arrêt de travail difficile. Loin d’être un cas isolé, cette situation révèle un déséquilibre structurel entre politique de santé publique et réalité sociale du soin.