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Billet de blog 26 novembre 2019

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Convention pour le Climat, chronique d'un tiré au sort

La Convention Citoyenne pour le Climat fait plancher durant plusieurs mois 150 citoyens tirés au sort sur les gaz à effet de serre à leur conséquences sur le réchauffement climatique. Ce blog tentera de partager régulièrement cette aventure humaine impliquante et de vivre la Convention Climat de l'intérieur.

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Cela fait maintenant 3 jours que je me suis mis dans le rôle de blogueur pour Mediapart sans vraiment prendre ni le temps, ni la mesure de tout ça. Raconter, de l’intérieur la Convention Citoyenne pour le Climat dont je fais partie. Le plus compliqué à mon sens réside dans le rôle de blogueur et comment écrire pour les autres dans ce cas et sans s’astreindre à un travail journalistique qui sonnerait vite faux même si ce n'est pas l'objet. Mediapart couvre d’ailleurs l’événement de près. Ce blog sera donc peut-être une surprise de plus dans ce qui résume le plus vivement l’expérience que j'ai avec la Convention Citoyenne pour le Climat, que les initiés ou certains médias acquis à la cause appellent déjà CCC.

Début septembre, c’est dans le chaos familial de la rentrée scolaire et l’odeur de trousse neuve que mon mobile sonne à une heure ou les gens qui ont des enfants tentent en vain de faire passer la dernière cuillère. Très vite mon interlocuteur me résume l’objet de l’appel, l’organisation d’une convention citoyenne pour le climat réunissant 150 citoyens tirés au sort et représentatifs de la population. Je me rappelle très bien avoir écouté un sujet le matin même sur France Inter concernant ce tirage au sort et la Convention. Je n’hésite pas une seconde intimant de se taire aux deux petites personnes en train de dîner et qui déjà réclament à savoir “qui c’est !!”.  Rendez-vous est vite pris, car l’expérience semble inédite. 150 personnes sur 300 000 numéros de téléphone, la probabilité est affolante et n’en reviens pas.

2019, des associations évoque la mise en place d’une Assemblée citoyenne tirée au sort, représentative, chargée de faire des propositions donnant lieu à un référendum permettant en outre de sortir « par le haut » de la crise des gilets jaunes. Le militant Cyril Dion rencontre le Président de la République et propose  de mettre en place cette assemblée. Une « lettre de mission » du premier ministre précise au CESE l'organisation d'une convention, l'indépendance de son comité de gouvernance et son mandat : « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990. Propositions de lois, référendum tout est envisageable. Le Président Macron s'est engagé à ce que les initiatives soient soumises “sans filtre”.

Septembre passe, et les échanges sont nourris avec certains proches totalement investis dans les sujets écologiques, le réchauffement climatique, sauver la planète. Je suis de circonstance pour une réelle avancée en matière d'environnement mais ai rarement dépassé le stade du tri et de l'achat de produits bio. Les noix de lavage, testées retrouvées régulièrement dans mes poches, le dentifrice solide plus proche de la culture de  microbes innommables que de de la promesse d’une haleine fraîche… bien peu pour moi finalement, adoptant une attitude de dé… croissant du dimanche.

Évidemment, passée la surprise le "pourquoi moi" s'impose très vite d'autant que les membres de la convention sont censés représenter une France miniature respectant toutes les proportions de sexe, âge, niveau d'étude et lieu de vie. Très vite, je me rendrai compte que je porte l'étendard des quarantenaires parisiens diplômés et chauves.

Le tirage au sort comme outil ultime de sélection naturelle ressurgit soudain 2 ans après une expérience intense vécue aux assises. En 2017 le sort s'exprimait et me rendait  jurés d'assises à Paris. Aux 3 procès organisés pour cette session je sortais 2 fois du chapeau du Président de la cour. A ce moment le pathétique et la misère humaine s'étaleraient 2 semaines durant sous nos yeux, l'emportant sur l'instant sur une quelconque histoire de climat. Il faisait un froid de canard en décembre 2017 et les questions de GES ou d'un monde décarboné n'étaient alors pas vraiment de mise, celle de la justice sociale certainement.

2 semaines glaciales et 3 bougres en prison plus tard, tout était réglé.

Expérience démocratique intense et passionnante j'avais lu qu'être juré à un procès d'assises était une des formes les plus concrètes et directes de la démocratie. Aussi comme la foudre ne tombe jamais au même endroit rien ne pouvait plus m'arriver de démocratiquement impliquant à part voter par défaut au deuxième tour tous les 5 ans.

Septembre 2019 une Convention, citoyenne et pour le climat, ici personne à mettre au fer, condamner. Pourquoi moi ? Très vite on me soupçonne d'être dans les fichiers test du marketing direct de l'état, d'être un horrible usurpateur, de jouer le blues avec le malin. Pour ce qui est du sort, il continuera à me combler durant la convention, tiré successivement pour faire partie du comité de gouvernance, puis pour questionner Nicolas Hulot. On reviendra sur ces tirages.

Octobre arrive et le premier weekend de convention. Le CESE, l'institution grandiloquente de la place d'Iéna, les portiques de sécurité traversés par une petite troupe de gens aussi surpris que français représentatifs de la diversité, chacun y allant de sa remarque ou d'un bonjour chaleureux aux hôtesses qui nous accueillent. Presque l'impression de partir en car en voyage organisé avec les copains de son oncle et son voisin sympa. Accueil, présentation, premiers intervenants… Le public prend conscience de l'enjeu tout doucement. A la pause, le tutoiement et la description du voyage pour venir à la convention commencent à s'imposer. Je ne suis pas passé par Mâcon mais un esprit vif et franc semble saisir ces premiers instants. Une photo de groupe est organisée dans l’escalier. Personne ne se connaît et n'a vraiment conscience de ce qui se passe mais devient peut être "citoyen" à ce moment-là. Au CESE plein de gens vous demande si "vous êtes citoyens" comme une espèce de pass VIP de la démocratie délibérative. On s'y croise des dans de si grands couloirs, on réunionne dans salles un peu désuètes équipées de sonorisation individuelle même sur des table d'une douzaine de places. Une odeur de gitane et de costume gris de 1978 semble planer. C'est plaisant.

Plus tard, la visite d' Edouard Philippe rend les choses plus tangibles et officielles. Le premier ministre s'engage… de notre côté seul l'avenir nous intéresse.

Face à lui, chacun semble immortaliser l'instant sur son smartphone aussi bien que la presse présente pour l'occasion. Echange, tirage au sort, photos, cadrage, nous sommes tous surpris par le nombre de caméras, objectifs, micro perche, chercheurs hirsutes et intervenants dévoués. Le samedi soir, le petit coup de vin blanc frais rappellera à l'ordre les premiers citoyens, déliant les langues et les inquiétudes des premiers moments. 

Mais qu'est-ce que je fiche ici… l'univers minéral du palais d'Iéna, bloc immuable de certitudes citoyennes nous étreint malgré une méconnaissance du grand public qui ne reconnaît que ses aînés du Sénat et de l'assemblée nationale. Nous sommes donc sur les sièges rouges de la troisième institution de l'état et n'osons pas vraiment actionner le bouton "parler" sur le micro qui nous fait face. Parler à qui ? au Comité de Gouvernance qui doit suivre et organiser avec précision et impartialité cette expérience que Thierry Pech Co Président présente comme historique ? Aborder un de ces étranges chercheurs qui nous observent en notant frénétiquement nos réactions mais sans jamais communiquer avec nous ? Aux équipes tournage ou photo partout, tout le temps, invisibles et si proches ? Plus tard, chacun repart à l'hôtel, ou chez soi pour les franciliens, plein de questions, vaguement fier de participer à cet amusant voyage organisé, inquiet tout de même des premiers chiffres et données annoncés concernant le réchauffement climatique.

Beaucoup parlent d'une claque et cette baffe semble tous nous réunir.

Les groupes de travail sont formés par un énième tirage au sort. Se loger, se nourrir, Produire et travailler, Consommer... J'appartiens à l'équipe de produire et travailler. Nous découvrons très vite dans la salle de réunion qui donne sur la Tour Eiffel le niveau des intervenants qui viennent nous rencontrer. La précision des organisateurs qui commencent à mener les échanges semble chirurgicale et passionnante.

Mais qu'est-ce que je fais là.

À l'issue d'ateliers stimulants le dimanche la surprise laisse place à la fatigue et comme à chaque session nous remontons les remarques laissées la veille sur des Post-it par l'ensemble des citoyens. Sachant que les français parlent en général de politique ou de cuisine, et le plus souvent à table, c'est le sujet sur le buffet qui l'emporte. On a faim semble crier les citoyens et l'organisation de adapter très vite à cette première doléance. D'autres plus structurantes, peut-être, suivront.

Constatant que les caisses de pommes bio et poire locales ont remplacé les chips de circonstance que j'imagine joncher habituellement le sol du Palais d'Iéna à l'issue de tristes cocktails encravatés chacun se salut poliment mais chaleureusement, se donnant rendez-vous dans 3 semaines pour commencer à en découdre avec le Climat et la justice sociale.

Le dimanche après-midi au moment où le monument Michel Drucker démarre son émission hebdomadaire une petite dame à côté de moi dans l'hémicycle cramoisi me propose des bonbons au réglisse. La France entière semble être là avec ce monsieur qui parle avec des arguments concernant le Co2 aussi percutant que son accent portugais est soyeux. Représentatifs, légitimes, moustachus, râleurs et souverains, nous sommes étrangement citoyens comme si cela n'était pas le cas avant.

Place d'Iéna les premiers débats de la Convention Citoyenne pour le Climat donnèrent une échelle des attentes des citoyens, du niveau de réflexion des participants, de la volonté farouche des français.

Contre toute attente et malgré nos premiers efforts… ici, la température entre les 150 avait déjà monté d'un cran.

On me disait récemment qu'écrire fait toujours penser et l'expérience d'un premier jet en ligne le confirme. Ce blog tentera dans les semaines qui viennent de présenter plus en détail les travaux de la convention, les humeurs des français qui la compose, les doutes et les ambitions qui nous animent.

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