Après 25 ans de talk-show sur CNN, Larry King, le célèbre intervieweur raccroche ses
fameuses bretelles. A 76 ans, King était devenu une légende des médias américains. A 21
heures, tous les soirs, il recevait en studio les présidents, les monarques, les célébrités du
showbizz, du sport et de la politique. Toujours en chemise, derrière un gros micro à
lʼancienne, avec ses fameuses bretelles et sa voix éraillée à lʼaccent populaire de
Brooklyn. Il a interviewé plus de 40 000 invités sur CNN : tous les présidents américains -
de Gerald Ford à Barack Obama - mais aussi Gorbatchev, Jacques Chirac, Tony Blair,
Madonna, McCartney, Malcolm X.
Cʼest la fin dʼune époque pour CNN. Avec son style détendu, ses coudes sur la table, son
regard acéré derrière ses grosses lunettes, King était le symbole de ces talk-shows à
lʼancienne dont raffolent les Américains. Cʼest lui qui avait mis en vedette la TV par câble
et habitué les Américains à se brancher sur CNN pour suivre son show. Le problème pour
CNN, cʼest que Larry King nʼa pas compris que le monde des médias avait changé. Son
show intéressait de moins en moins de téléspectateurs : 1.4 million lʼan dernier, 771 000
cette année. Il en était conscient, selon le Washington Post : “Vous vous sentez toujours
mal quand les taux dʼaudience baissent. Mais je nʼai jamais senti de pression. CNN nʼa
jamais fait pression sur moi.”
En réalité, il ne sʼappelait pas Larry King, mais Lawrence Harvey Zeiger, fils dʼimmigrés
juifs de Biélorussie. Il nʼavait aucun expérience des médias quand il a été engagé par une
radio locale en Floride, dans les années 1960. Mais cʼest ainsi que la plupart des
animateurs de la TV américaine ont commencé : David Letterman, du Late Show sur CBS,
Johnny Carson, du Tonight Show sur NBC ou Oprah Winfrey, lʼanimatrice la plus célèbre
et la plus riche de la TV américaine. Tous ont débuté dans une station locale, à 1000
dollars par mois.
Ce qui a fait le succès de Larry King pendant un quart de siècle, cʼest sa gouaille et sa
capacité à interviewer nʼimporte quelle personnalité. Il se vantait de ne jamais lire les livres
de ses invités et de ne jamais préparer ses questions. Son équipe préparait ses dossiers
et il improvisait. Il affirmait que sʼil nʼétait pas surpris par son invité, il ne posait pas les
bonnes questions. Il était toujours sympa avec ses invités, jamais agressif, mais il
renvoyait toujours la balle. Il avait demandé à Sarah Ferguson, la duchesse d'York, qui publiait un livre sur
les régimes, si elle avait un problème de poids. Comme elle essayait de se dérober en
affirmant quʼelle était gênée par les lumières du studio, la voix de Larry King avait
claqué :”Back to the question” (Revenons à la question).
Larry King nʼétait jamais complaisant mais parfois complice. Les politiciens américains, qui
depuis longtemps ont déserté les débats politiques pour les tak-shows, adoraient Larry
King Live, qui leur offrait une plateforme pour leurs idées et une large audience. Pour les
politiciens, cʼétait le moyen dʼéviter les journalistes, qui connaissaient leurs dossiers et
posaient des questions embarrassantes. Bill Clinton, invité trois fois dans les deux
premières années de sa présidence, a déclaré au Washington Post : “Larry King mʼa libéré
en me permettant de parler directement aux Américains.” Aujourdʼhui, la politique
américaine sʼest radicalisée, pour ou contre Obama. Les talk-shows ne sont plus
consensuels, ils sont devenus partisans. Avec la départ de Larry King et dʼautres vedettes,
CNN va devoir modifier complètement ses programmes de la soirée pour garder ses
téléspectateurs et ses annonceurs.