Le monde entier, médusé, assiste depuis lundi à une formidable opération de communication et de relations publiques, mise en scène par la Maison Blanche, pour raconter comment les commandos ont réussi à liquider le terroriste le plus recherché de la planète. Le scénario commence, dimanche soir, par la dramatique apparition de Barack Obama à la Maison Blanche. Il est 23 h. 30 à Washington : venant du fond d'un long couloir, marchant sur une moquette rouge, l'air grave et déterminé, le président des Etats-Unis annonce à l'Amérique et au monde que Ben Laden a été tué par les forces américaines. Sa conclusion sonne comme dans un western : "Justice a été rendue". Dans son rôle de grand communicateur, Obama est parfait, et la mise en scène est du grand art.
La suite du scénario mis au point est un extraordinaire exemple de ce que les Américains appellent story telling. Les plus hauts responsables de la sécurité et de l'armée américaine vont se succéder dans les médias pour distiller les informations sur la traque de Ben Laden, sur la préparation et le déroulement de l'action. Les médias du monde entier - Le Monde y compris - vont relayer en détail le récit officiel : les aveux sous la torture d'un détenu à Guantanamo ; l'identification d'un des courriers de Ben Laden, chargé de transmettre ses ordres, après des années de surveillance ; la découverte par la CIA du repaire de Ben Laden grâce à une filature. Enfin, le déroulement minute par minute de l'assaut et l'exécution du chef d'Al Qaïda.
Les journalistes n'ont aucun moyen de vérifier si l'histoire qu'on leur raconte est vraie. Comme lors de la guerre du Golfe, comme lors du 11 septembre 2001, la seule vérité est celle fournie par les autorités américaines. Les médias publient les plans du compound de Ben Laden obligeamment fournis par le Département de la Défense et la CIA. Ils utilisent les photos officielles du président et de ses conseillers qui suivent "en direct" de Washington le déroulement de l'assaut mené par les commandos de marine, à des milliers de km. au Pakistan.
Chaque information, chaque détail a certainement été conçu pour faire passer un message : Obama a enfin montré qu'il était un président à poigne et il a réussi ce que Georges Bush n'avait pas pu faire. L'Amérique a enfin vengé l'humiliation du 11 septembre 2001. Guantanamo a été utile et la torture, indispensable. Ben Laden s'est défendu et il a été abattu sans sommation parce qu'il était armé. C'était un musulman méprisable, il avait pris une de ses femmes comme bouclier. Ce qui a été démenti quelques jours plus tard.
Je ne participe pas à la grande foire aux théories du complot de tous ceux qui affirment que Ben Laden n'est pas mort parce qu'on n'a pas vu son cadavre. Mais le récit officiel est trop parfait, il donne trop de détails pour qu'on le prenne pour la vérité pure et simple. Comme l'affirmait Oscar Wilde : "La vérité est très rarement pure et jamais simple". Et si on ne nous avait pas tout dit ? et si Ben Laden avait été livré aux Américains par le Pakistan, comme d'autres responsables d'Al Quaïda, dans le cadre d'une grande négociation politique ? Trois jours après l'élimination de Ben Laden, ces hypothèses commencent à être formulées par des experts du terrorisme. On ne saura probablement jamais toute la vérité sur ce qui s'est passé. Mais pour Washington, l'important, ce n'est pas la vérité, mais la manière de la raconter.