Comme on pouvait s'y attendre, l'élection présidentielle américaine tourne à la confusion et à la cacophonie. On ignore qui sera le 46e président des États-Unis et on ne le saura peut-être pas avant plusieurs semaines. Le système politique américain reste un mystère : comment le pays qui a créé les géants de l'informatique et de l'intelligence artificielle peut-il se satisfaire de pratiques électorales d'un autre âge ?
L'élection indirecte par les grands électeurs remonte au XVIIIe siècle, quand il fallait des heures pour transporter les bulletins de vote dans les capitales des États. Les États-Unis sont certainement la seule démocratie dans laquelle un président élu doit attendre deux mois pour entrer en fonction. Dans ce pays, aucun organe officiel ne valide le résultat de l'élection présidentielle. Ce sont les États qui authentifient le scrutin. Ce sont les médias privés qui collectent des résultats dans chaque État et qui les rendent publics à la radio ou à la télévision. Selon la tradition, le vainqueur de l'élection se base sur les résultats donnés par la télévision !
À croire que la fière devise des États-Unis, In God We Trust, s'applique aussi au système électoral ! Il faut vraiment faire confiance au Seigneur pour comprendre la complexité du processus électoral et des règles différentes qui s'appliquent dans chaque État. Les élections ne sont pas gérées par le gouvernement fédéral, mais par les États, avec des modalités de vote différentes. Dans l'État de New York, il faut invoquer la crainte du virus pour voter par procuration. En Pennsylvanie, tous les électeurs peuvent le faire. Seize millions d'Américains, dans huit États, ont utilisé des machines à voter sans papiers, qui sont gérées par des entreprises privées. Tous les experts américains en cyber sécurité dénoncent ce système peu fiable, qui favorise la fraude. Alors, pour éviter de faire la queue pendant des heures devant un bureau de vote, des millions d'électeurs ont voté par correspondance et leurs bulletins s'entassent dans des centres postaux complètement débordés.
Depuis des mois, Trump affirme sans preuve que le vote par correspondance favorise les démocrates. Ces millions de bulletins de vote par correspondance ont une importance cruciale. Ils pourront décider dans certains États pivot, qui, de Trump ou de Biden, sera le prochain président des États-Unis. Trump promet de saisir la Cour suprême pour empêcher le dépouillement des bulletins arrivés après le 3 novembre. L'Amérique risque de revivre le feuilleton de l'élection de 2000, quand la Cour suprême avait refusé le recomptage des voix en Floride et avait donné la victoire à Georges Bush. Évidemment, Trump peut compter sur la Cour suprême, dont six des neuf juges sont proches des Républicains.
Et que se passera-t-il si aucun des candidats n'obtient la majorité des grands électeurs ? C'est la Chambre des Représentants qui désignera le président, et le Sénat, le vice-président. Là, on entre dans le royaume du père Ubu : des députés se réuniront par État, républicains et démocrates ensemble, et ils voteront à la majorité dans chaque État pour désigner le vainqueur. Et les grands électeurs, élus par le peuple, pourront aller se rhabiller ! À ce jeu, Trump risque de l'emporter. Les Républicains n'ont pas la majorité à la Chambre des représentants, mais ils contrôlent le plus grand nombre d'États. Cela me rappelle ce commentaire cynique du petit père des peuples, Staline : "je considère qu'il n'y a aucune importance qui votera dans le parti ni comment. Ce qui est important, c'est qui va compter les votes et comment".