Lendemain d’élection aux États-Unis : les journalistes, effarés, semblent découvrir que les électeurs de Donald Trump existent. Comme les sondeurs, les médias se sont tous plantés en annonçant une vague démocrate qui devait porter Joe Biden à la Maison-Blanche. Mais plus de 68 millions d’Américains ont voté Trump. Personne ne sait encore si leurs suffrages vont maintenir le président actuel au pouvoir pour quatre ans, mais ils représentent près de la moitié des Américains.
Lundi soir, France 2 a présenté une émission spéciale sur les élections américaines, qui présentait une image totalement biaisée de l’Amérique. Sur le plateau ont défilé des journalistes et des experts, tous acquis au candidat démocrate Joe Biden. Pas un seul pour représenter l’opinion des républicains favorables à Donald Trump. Les envoyés spéciaux, dispersés aux quatre coins des États-Unis, ont interviewé des électeurs presque tous partisans de Joe Biden. Les rares électeurs républicains interviewés étaient des caricatures de l’Amérique : des beaufs, devant leur luxueuse villa, ou de pittoresques illuminés, fiers de leurs armes pour défendre leur propriété.
Depuis des mois, les journalistes français présentent les partisans de Trump comme des ploucs ou des attardés qui rêvent de redonner sa grandeur à l’Amérique, selon le slogan de Trump. Chaque soir, les envoyés spéciaux des chaînes de télévision française qui ont sillonné l’Amérique ont présenté des reportages d’un pays fantasmé. Ils ont loué une voiture et, suivi d’un drone, ils ont fait une balade touristique à travers le folklore américain: le Stetson du cow-boy du Midwest ou Main Street d’une petite ville pittoresque, ça se vend mieux qu’une visite des banlieues noires de Portland, en révolte contre les violences policières, ou qu’un hôpital de New York, débordé par l’afflux des malades du virus.
Ces images biaisées ont convaincu les téléspectateurs français : les Américains sont de grands enfants qui organisent tous les quatre ans un show à grand spectacle pour élire leur président. Mes excellents confrères n’ont pas fait beaucoup d’efforts pour expliquer pourquoi l’Amérique est un pays fracturé. Pourquoi les Noirs des banlieues des grandes villes se révoltent contre la police qui les harcèle. Pourquoi les Cubains de Floride votent pour Trump. Pourquoi les jeunes noirs et les latinos ne croient pas aux promesses de Joe Biden, ce vieillard blanc, symbole de l’establishment politique. Pourquoi les Américains blancs au chômage se sentent menacés par les minorités noires et latinos. Pourquoi l’épidémie qui a tué plus de 200 000 Américains et précipité des millions d’autres dans la misère marque la fin du rêve américain, quand chacun pouvait réussir.
Encore une fois, les sondages et les médias qui les ont relayés ont sous-estimé les intentions de vote des Américains. Les jeunes ne répondent pas au sondage par téléphone. De nombreux électeurs n’ont pas voulu révéler qu’ils allaient voter pour le président. Et tout le monde a sous-estimé la force de frappe de Donald Trump : sa maîtrise des réseaux sociaux. Il a compris depuis longtemps qu’il pouvait s’adresser directement aux électeurs par Twitter, puisque presque tous les médias américains le détestaient. Avec ses 88 millions de followers, Trump n’a pas besoin de la presse, de la radio et de la télévision pour faire passer ses messages. Les médias traditionnels peuvent bien faire le compte des mensonges et des fake news lancés par le président, Trump s’en fout !
Avec son slogan MAGA (Make America Great Again), Donal Trump fait vibrer une corde sensible pour des millions d’électeurs. Ce ne sont pas des abrutis ou des "navrants", comme Hillary Clinton les avait qualifiés en 2016. Ce sont des Américains déboussolés, qui se raccrochent aux promesses de grandeur d’un président qui ose dire à haute voix et de manière brutale ce qu’ils pensent du monde politique. Ils ne représentent pas l’Amérique que l’on aime, mais il serait dangereux de nier qu’ils existent. Quel que soit le président élu, il devra compter avec ces millions d’Américains partisans de la loi et de l’ordre. Ces Américains ordinaires, écrasés par l’épidémie, par la crise économique et par une crise d’identité sur les valeurs de leur pays.