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Billet de blog 7 novembre 2020

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Ghosn - le retour du fugitif

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On l’avait presque oublié, le ténébreux Carlos, l’ancien empereur de l’automobile arrêté au Japon pour fraude fiscale et évadé au Liban. Coucou le revoilà sur la chaîne d’information BFM TV ! Carlos Ghosn est de retour, bien décidé à rétablir sa réputation. La journaliste vedette de la chaîne, Ruth Elkief, a pris l’avion pour le Liban, pour s’entretenir courtoisement avec le magnat en cavale, dans son beau jardin de Beyrouth. 

Quand on en a les moyens, il est plus facile de se refaire une beauté médiatique. Les communicants de Ghosn ont bien travaillé. Grâce a la plume obligeante de son nègre, Philippe Riès, le patron déchu vient de publier un livre choc de 500 pages pour "sauver son honneur" : "Le temps de la vérité". Il a aussi habilement négocié une série télévisée de six épisodes chez Netflix, adapté du livre "Le fugitif : les secrets de Carlos Ghosn", écrit par deux journalistes complaisants. L’interview de BFM TV est le troisième étage de la fusée Ghosn. La chaîne d’information en continu avait déjà consacré plusieurs émissions à l’ancien patron de Renault, sous des titres sensationnels : "La grande évasion", "Le secret d’une chute". À Beyrouth, où sa vie paraît douce, dans un pays dévasté et ruiné, Carlos Ghosn a longuement déroulé ses arguments, face a une journaliste ravie de rencontrer une icône. 

Il a répété qu’il a été victime d’un complot de ses associés japonais, qu’il a été abandonné par son conseil d’administration et par les autorités françaises. Toutes les accusations de fraude fiscale, d’enrichissement personnel et d’abus de confiance sont des montages. Il n’a pas fui le Japon, il a seulement échappé à un système judiciaire injuste. Malheureusement, il ne peut pas quitter le Liban, car Interpol a lancé une fiche rouge contre lui. Il risque d’être arrêté et extradé au Japon y pour être jugé. Bien sûr, si les juges français ont la bonté de venir à Beyrouth, il se fera un plaisir de répondre à toutes leurs questions. Et l’aimable Ruth Elkrief a avalé tout cela avec le sourire !

Elle lui a bien demandé, mais sans insister trop, comment il s’était évadé du Japon et combien cela lui avait coûté : "je ne veux pas mettre en danger les gens qui m’ont aidé". Question suivante : pourquoi avait-il fait financer par Renault sa petite sauterie au château de Versailles pour le 50e anniversaire de son épouse ? Ghosn a resservi son explication embrouillée sur le contrat de sponsoring passé avec le château. Il aurait fallu une journaliste d’un autre calibre et d’une autre compétence pour déconcerter l’ancien président de Renault-Nissan. À 66 ans, de sa belle voix grave, Carlos Ghosn a bien joué sa partition : après des années de voyages dans le monde et de réunions d’affaires épuisantes, il peut enfin goûter à la vie de famille, auprès de sa charmante épouse. On est prié de sortir son mouchoir ! 

Comme DSK, dans une célèbre interview complaisante sur TF1, après son retour en France, Ghosn a saisi la perche tendue par la journaliste pour donner une petite leçon de management. Non, il ne croit pas aux relocalisations prônées par Macron. Elles ne peuvent pas "se faire au détriment de la logique économique dans un système de commerce mondial ouvert". Celui qui vous le dit est un ancien dirigeant qui a fait capoter l’alliance automobile franco-japonaise et qui a fraudé le fisc au Japon et en France. Un ex-PDG qui attaque Renault en justice pour obtenir des millions d’euros de rémunération et de retraite qu’on lui doit. La voix ferme, le regard impérieux, un homme qui ne se laissera pas faire !

Bien sûr, la journaliste aurait pu rappeler que le bras droit du grand patron en fuite, Greg Kelly, est actuellement en procès à Tokyo, où l'on en apprend de belles, lors des témoignages de ses anciens subordonnés, qui n’ont pas l’intention de porter le chapeau. Ils révèlent dans le détail les combines de Ghosn pour cacher les primes et les salaires différés qu'il se faisait verser à l’insu du conseil d’administration: des montants astronomiques de 178 millions de dollars. Ils révèlent aussi comment le patron leur a demandé de créer une filiale-écran aux Pays-Bas et une autre à Dubaï, en fabriquant de faux documents. 

Bien sûr, tout cela est trop technique et trop compliqué pour le téléspectateur moyen. Il retiendra surtout que Carlos Ghosn n’est peut-être plus le flamboyant patron encensé par les médias au Japon en France et dans le monde. Mais il en a encore sous le pied, il a de quoi défendre ses intérêts, et au besoin, on pourra toujours lui demander des conseils.

Comme le disait sagement le dessinateur américain de BD Scott Adams : "les patrons sont comme les chats dans une litière. Instinctivement, ils remuent tout pour cacher ce qu’ils ont fait". 

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