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Billet de blog 9 avril 2021

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La victoire d'Amazon

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Amazon, le géant du commerce en ligne, vient de remporter une victoire éclatante contre le syndicat américain du commerce. À une écrasante majorité, les employés d'un dépôt en Alabama ont refusé de créer un syndicat chez Amazon. Le second employeur américain pourra donc continuer à appliquer ses méthodes de travail : diminuer le coût du travail et accroître la productivité de son personnel, en mesurant et en contrôlant chaque minute de sa journée de travail. 

Depuis sa création, il y a plus de 25 ans, la philosophie d'Amazon n'a pas changé : le client doit être servi en priorité, quel qu’en soit le coût pour le personnel. Tant pis si les conditions de travail poussent les manutentionnaires à la limite de leur santé. Le New York Times rappelle ce que Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, écrivait à ses actionnaires en 2016 : "le jour 1 signifie être affamé, prendre des décisions dures et ne jamais oublier le client. Le jour 2, c'est la stagnation, suivie par l'inutilité, qui entraîne le déclin atrocement douloureux. Suivi par la mort. Voilà pourquoi c'est toujours le jour 1". Pendant des années, personne ne s'est plaint des méthodes d'Amazon, puisque les clients étaient ravis de recevoir rapidement leurs commandes. 

Et puis, des reportages tournés en caméra cachée ont révélé la réalité. Les salariés d'Amazon étaient traités comme des robots, dont chaque geste était minuté. Ils étaient surveillés par des chefs d'équipe dont les primes dépendaient d'objectifs à atteindre coûte que coûte. Les réseaux sociaux ont révélé des scandales effarants. Faute de temps pour aller aux toilettes, les manutentionnaires urinaient dans des bouteilles ! Un ancien salarié a expliqué: "Pour Amazon, il ne s'agit pas d'argent. Il s'agit de contrôler le corps des salariés à tout moment de leur activité". Les plaintes se sont multipliées partout aux États-Unis. En Californie, 718 chauffeurs travaillant pour un sous-traitant d'Amazon étaient payés pour 10 heures de travail, mais ils en faisaient 11 et parfois plus pour livrer l'énorme volume de colis. 5 millions de dollars d'heures supplémentaires ne leur ont jamais été payés. 

Pourtant, Amazon n'a jamais eu de difficulté à recruter du personnel. Il paie ses employés $ 15,30 de l'heure, deux fois plus que le salaire minimum aux États-Unis. Même si le personnel ne supporte pas longtemps ces conditions de travail épuisantes il y a toujours des demandeurs d'emploi pour travailler dans ses entrepôts. Depuis des années, toutes les tentatives pour créer une section syndicale chez Amazon ont échoué. Le syndicat du commerce, le RWDSU, vient de perdre la bataille qu'il avait engagée dans un dépôt en Alabama, dont 85% des salariés sont des Noirs. 1798 voix contre le syndicat, 738 pour. Amazon a utilisé toutes sortes de tactiques pour convaincre ses salariés qu'ils n'avaient pas besoin de payer une cotisation syndicale pour toucher leur salaire : des affiches, des prospectus, un site Internet, des réunions obligatoires avec présentation PowerPoint pour dénigrer le syndicat. Selon le Washington Post , dont le propriétaire est Jeff Bezos, le PDG d'Amazon, l'entreprise a fait installer par la poste américaine une boîte à lettres devant le dépôt pour recueillir les bulletins de vote. Ce qui est illégal. 

Pour Amazon, l'enjeu était capital. Le géant du e-commerce emploie plus d'un million de salariés. La pandémie a fait exploser son activité, son chiffre d'affaires et bien sûr son bénéfice. Au quatrième trimestre de l'an dernier, son chiffre d'affaires a dépassé 125 milliards de dollars, en augmentation de 44 %. Son bénéfice net a atteint 7,2 milliards de dollars, en en hausse de 121%. Amazon représente donc le second employeur des États-Unis, ce qui lui donne un poids politique considérable. Même si le président Joe Biden et les démocrates soutenaient l'action du syndicat du commerce, le vote de l'Alabama sonne comme une victoire pour Amazon. Si le syndicat avait réussi à créer une section en Alabama, il aurait certainement essayé d'en créer d'autres à travers les États-Unis. En Europe, les salariés d'Amazon sont parfois syndiqués et ils ont protesté contre les méthodes de la multinationale. En Italie et en Allemagne, les syndicats ont organisé des grèves. 

Au-delà du cas d'Amazon, c'est tout l'univers des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui redoutait le vote de l'Alabama. Ces géants dont la puissance dépasse celle des États se sont toujours présentés comme des entreprises où l'ambiance de travail est cool et où les salaires sont plus élevés que la moyenne. Pour Pichai, Bezos, Zuckerberg, Cook, les syndicats sont des ennemis qui empêchent les entreprises de faire des milliards de bénéfices en imposant leurs méthodes à leurs salariés. Comme l'affirmait Jeff Bezos : "Ce sont les missionnaires qui finissent par gagner le plus d'argent, de toute façon". 

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