Vous n’êtes jamais allé à l’Oktoberfest à Munich, la gigantesque fête de la bière allemande ? Alors, vous ne pouvez pas comprendre l’âme de la Bavière. Depuis 200 ans, pendant deux semaines, en octobre, tout ce que la Bavière, l’Allemagne et le monde comptent de buveurs de bière se rassemble sur la prairie historique. Cette année, 6.4 millions de buveurs ont englouti 7 millions de litres de bière et ont dévoré 117 boeufs et 59 veaux sous forme de grillades et de saucisses. Ne vous moquez pas. L’Oktoberfest fait partie de la tradition à Munich comme la corrida à Perpignan ou le marché de Noël à Strasbourg. Bien sûr, pour les Français, ce folklore bavarois tient de la caricature de l’Allemand : dans les gigantesques tentes des brasseurs, qui peuvent contenir chacune des milliers de buveurs assis sur des bancs autour de longues tables, des Bavarois rubiconds en culotte de cuir et des Bavaroises au décolleté généreux descendent avec passion des chopes d’un litre. Les places sous la tente se vendent jusqu’à 500 euros. Des serveuses accortes apportent sans répit jusqu’à 12 chopes en un seul voyage. Et au milieu de la tente, sur une estrade, un orchestre bavarois joue sans discontinuer des chants que tout le monde reprend en choeur, les célèbres Wiesnhit. Ca boit, ça gueule, ça chante et ça pisse ! Tout le monde se tape dans le dos, la bière émoustille les dames et les messieurs. Et parfois, il faut un voisin obligeant pour vous ramener jusqu’au métro. Une jeune Bavaroise m’a même raconté qu’elle a dû ramener son fiancé ivre mort dans une brouette ! Tout est organisé à l’allemande : les urinoirs longs d’un hectomètre où les buveurs viennent se soulager, les 500 policiers chargés de calmer les ivrognes, sans compter les éboueurs qui ramassent des tonnes de détritus, une facture d’un demi-million d’euros. Pendant quinze jours, Munich célèbre la bière. L’administration et le commerce tournent au ralenti, sauf sur la prairie historique. Mais maintenant que la fête est finie, les brasseurs ont la gueule de bois. Bien sûr, les clients ont éclusé plus de bière que l’an dernier. Mais, comme partout, les Allemands ont changé leurs habitudes : selon l’Economist, en 1991, le buveur allemand descendait 142 litres par an, l’an dernier, seulement 110 litres. Les Tchèques, les Irlandais et les Autrichiens en consomment plus. Les Allemands sont toujours fiers de leurs bières, mais ils en produisent trop et en boivent trop peu. Selon l’association des brasseurs allemands, la consommation pourrait chuter jusqu’à 80 litres par an. Les quatre grandes marques, celles qui organisent l’Oktoberfest, ne représentent plus que 20% du marché allemand, contre 50% il y a quelques années. Leurs bières sont méprisées par les buveurs, qui les appellent Spülwasser (eau de rinçage) et qui leur préfèrent les bières artisanales des 1300 brasseurs indépendants. Jusqu’en 1987, une vieille réglementation du 16e siècle, la Reinheitsgebot ,(décret sur la pureté de la bière) avait protégé le marché allemand contre les bières étrangères. Elle stipulait que la bière doit être fabriquée exclusivement à partir d’eau, d’orge et de houblon. La réglementation européenne a autorisé d’autres ingrédients. Cela n’a pas empêché la lente chute de la consommation de bière en Allemagne. Même l’Oktoberfest n’est plus ce qu’elle était : trop de monde, trop de violence, trop de fric. Comme l’écrit un lecteur de la Süddeutsche Zeitung, le grand journal de Munich : “Depuis des années, la fête est promue par les médias et la publicité. Il ne se passe pas un jour sans que la TV ne diffuse pendant des heures des reportages sur la fête et on vous donne l’impression que l’on a raté quelque chose si on n’y était pas”.
Billet de blog 11 octobre 2010
Oktoberfest : la gueule de bois des brasseurs
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