Moi qui ne suis ni agronome, ni virologue, ni climatologue, ni policier, on me demande, comme citoyen suisse, de décider sur des questions fondamentales qui concernent l’avenir de mon pays. C’est ça, la démocratie directe dans mon pays. Le peuple est souverain. Ce sont les électeurs et les électrices qui décident, pas le gouvernement ni le Parlement. Le système politique suisse est simple : 100 000 électeurs/électrices ont le droit de proposer au vote une initiative populaire pour modifier la Constitution. 50 000 ont le droit de soumettre à référendum une loi votée par le Parlement. Le gouvernement fédéral, après avoir contrôlé la validité des signatures, est tenu d’organiser une votation populaire et d’accepter les résultats. C’est comme ça en Suisse depuis 1848. Mais les Suisses ne sont pas pressés. La démocratie directe, ça avance au pas.
Il y a trois ans, des écologistes ont lancé deux initiatives : «Pour une eau potable propre et une alimentation saine – pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique» et «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse». Le gouvernent fédéral et une majorité du Parlement sont contre. Ils estiment que l’environnement et la nature doivent être protégés, mais que les initiatives vont trop loin et qu’elles mettent en danger l’agriculture et l’économie suisse. Et on me demande de dire oui ou non. Comment voulez-vous que je prenne une décision ? Je n’y connais rien, je n’ai aucune compétence ! L’administration fédérale m’envoie une abondante documentation avec les arguments pour et contre. Je lis et j’écoute les opinions des écolos et des lobbies agricoles. Mais, finalement, je vais voter sur des motifs émotionnels - pour ou contre l’écologie - plutôt que sur des arguments scientifiques.
Même chose sur les trois référendums sur des lois fédérales adoptées par l’Assemblée fédérale : "Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19" ; Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; Loi fédérale du 25 septembre 2020 sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme". Je suis un bon citoyen, je lis les documents, je confronte les arguments, j’utilise mon droit de vote. Vous feriez quoi, vous, si on vous demandait si c’est le gouvernement ou les cantons qui doivent décider de l’ouverture des restaurants ? Ou si la police a le droit de surveiller ceux qui consultent des sites terroristes ? Souvent je me dis honnêtement : tu votes la tête dans un sac ! J’ai parfois la tentation d’aller me promener, le dimanche, plutôt que de voter sur des problèmes qui me dépassent. Mais, je me dis qu’après, je n’aurai pas le droit de me plaindre qu’on ne m’écoute pas.
Un ancien parlementaire fédéral suisse, Jacques Neirynck, professeur honoraire de l’École polytechnique de Lausanne, lance sur son blog une proposition iconoclaste : "Durant la session parlementaire, chaque vendredi soir, les citoyens seraient invités à valider ou non les votes du parlement durant la semaine écoulée. Le délai référendaire serait réduit à quelques jours et tous les objets seraient soumis au vote populaire." Il conclut qu’il faudrait se poser la question : "Serait-il encore nécessaire d’avoir un parlement fédéral ? S’il n’est déjà plus souverain aujourd’hui pourquoi le maintenir...pourquoi donner au peuple le pouvoir de les contredire ? Pourquoi tolérer que des intérêts particuliers, munis de bonnes finances, puissent bâtir cette contradiction ?"Merci pour la question !
Ça ne me console pas de savoir que les députés que j’ai élus ne sont pas plus compétents que moi. En Suisse, les politiciens sont à temps partiel. Ils ont tous un autre métier. Et comme moi, ils sont soumis à d’intenses pressions des lobbies qui ont leurs entrées au Palais fédéral, qui leur préparent les arguments pour leurs interventions à la tribune ou en commission et qui financent le lancement des initiatives. Ce sont les parlementaires qui votent les lois. Mais je ne suis pas sûr qu’ils comprennent bien ce qu’ils ont voté. C’est partout pareil. En France, en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, les parlementaires sont des pros. La politique, c’est leur métier, souvent depuis des années. Ils débattent des heures sur des articles de lois avant de voter. Mais ce n’est pas parce que vous êtes un politicien de métier, que vous avez passé votre vie adulte dans un conseil municipal, un parlement régional, une assemblée nationale, que vous maîtrisez la complexité de la loi. Prenez la loi "portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets", qui prévoit à l’article 49 : « Ces règles générales fixent une trajectoire permettant d’aboutir à l’absence de toute artificialisation nette des sols, ainsi que, par tranches de dix années, un rythme maximal d’artificialisation calculé par rapport à la consommation d’espace observée sur les dix années précédentes. ». Vous n’y avez rien compris, moi non plus. J’espère que les députés sont tous des experts en climatologie. Emmanuel Macron le disait avant d'être élu président : "Lorsque la politique n’est plus une mission, mais une profession, les politiciens deviennent plus égoïstes que les fonctionnaires".