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Billet de blog 20 juin 2010

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Affaire Kadhafi : jusquʼà la lie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Suisse aura vraiment bu le calice libyen jusquʼà la lie. Pour obtenir la libération dʼun de ses

ressortissants détenu en otage en Libye, la ministre suisse des Affaires étrangères aura dû aller à

Tripoli et se rendre sous la tente du colonel Kadhafi présenter ses excuses. Des excuses pour

quoi ? Pour avoir laissé la police genevoise arrêter lʼun des fils du dirigeant de Tripoli dans un

grand hôtel, en août 2008, à la suite de la plainte de ses domestiques pour violences. Et pour avoir

laissé la Tribune de Genève publier les photos dʼidentité judiciaire du prévenu.

Une atteinte à lʼhonneur insupportable pour le dirigeant de Tripoli. Le président Kadhafi ne pouvait

pas tolérer que son fils soit arrêté et menotté comme un vulgaire malfaiteur et que sa photo, qui le

montrait mal rasé et hagard, soit publiée dans un journal. Depuis deux ans, cette affaire de simple

police est devenue une affaire dʼEtat entre la Suisse et la Libye et un cas dʼécole pour diplomates :

comment gérer une crise diplomatique de manière catastrophique. La presse suisse a beau titrer

“Une leçon de réalisme”, lʼaffaire Kadhafi a révélé aux Suisses que leur gouvernement de notables

était incapable de faire face à la pression dʼun dictateur rusé et sans scrupules.

Cette affaire a révélé que le gouvernement fédéral et le gouvernement cantonal de Genève sont

restés confits dans leur juridisme pointilleux. Trop longtemps, la Suisse sʼest drapée dans les

grands principes du droit international. Des politiciens sans vision nʼont pas compris quʼon ne

négocie pas avec le colonel à la morale de Bédouin du désert comme avec un chef dʼEtat

occidental. Ils ont été pris dans un piège et dans un rapport de forces inégal.

A chaque mesure dʼapaisement proposée par des Suisses un peu naïfs, la Libye a répondu par

une provocation. Oeil pour oeil, dent pour dent ! Tu arrêtes mon fils ? Je prends des hommes

dʼaffaires suisses en otage. Tu brandis de grands principes ? Jʼinterdis lʼentrée en Libye à tous les

ressortissants de lʼUnion européenne. Tu proposes un tribunal arbitral ? Jʼexige un demi-million de

dollars dʼindemnité. Tu acceptes ? Je veux la condamnation publique des policiers et des excuses

publiques du président suisse sous ma tente, à Tripoli.

Pour obtenir la libération de son otage, la ministre suisse des Affaires étrangères a dû affronter

lʼhumiliation. Cette socialiste qui défend les droits de lʼhomme et qui milite pour lʼentrée de la

Suisse dans lʼUnion européenne, a obtenu le retour de lʼhomme dʼaffaires en sʼinclinant devant un

sous-fifre du Guide et en présentant une fois encore ses excuses pour les fautes commises à

Genève. Pire encore, sa démarche nʼaurait pas abouti sans lʼappui de Silvio Berlusconi, lʼami de

Kadhafi et fameux protecteur des droits humains, présent lui aussi à Tripoli. Et malgré les

dénégations suisses, il semble bien que 1.5 million dʼeuros aient été versés à la Libye.

Tout est donc rentré dans lʼordre ? Les otages suisse sont au pays, la Suisse officielle a fait profil

bas, immense soulagement en Helvétie. Punkt schluss. Pas si sûr : la Suisse a accepté quʼun

tribunal arbitral juge des conditions de lʼarrestation du fils Kadhafi. On peut faire confiance aux

avocats du colonel : ils vont utiliser cette tribune pour traîner dans la boue la Suisse, accusée

dʼêtre “un Etat mafieux”.

Kadhafi a encore encore en main des cartes économiques : il a ordonné lʼarrêt des livraisons de

pétrole à la Suisse. Les achats du pétrole libyen se sont effondrés de 80% en 2009 et les

exportations suisses vers Tripoli ont chuté de 48%. Les liaisons aériennes sont suspendues entre

les deux pays. Bref, pour les hommes dʼaffaires suisses, lʼeldorado libyen est fermé.

Lʼaffaire Kadhafi rappelle le coûteux fiasco des fonds juifs en déshérence “oubliés” dans les coffres

suisses après la guerre, à la fin du siècle dernier. Les banquiers suisses avaient conservé les

millions déposés avant la guerre par les victimes de lʼHolocauste, sans cherché à savoir qui en

étaient les héritiers. Il avait fallu une plainte du Congrès juif mondial, une commission dʼenquête

fédérale, un tribunal arbitral et un accord avec le Congrès juif mondial : les deux grandes banques

suisses avaient payé 1.25 milliard de dollars pour lever les poursuites. Dans cette affaire-là aussi,

lʼarrogance des banquiers suisse, lʼincapacité à reconnaître ses erreurs et le manque de vision

politique avaient abouti à une impasse.

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