En France, la laïcité est comme le cerf-volant, elle est à géométrie variable. Surtout quand elle s'applique à l'islam. Emmanuel Macron, dans sa grande volonté réformatrice, a lancé un projet de loi sur le séparatisme - comprenez l'islamisme radical - qui prévoit de contrôler étroitement les mosquées et les imams. C'est le rêve de tous les présidents français : mener une guerre politique et administrative contre l'islamisme radical.
La France est une République laïque, mais elle a un ministre des cultes, le ministre de l'Intérieur. Selon la loi de 1905, "l’Etat est garant de la liberté religieuse. Il ne reconnaît et ne salarie aucun culte". Mais il s’occupe de leur organisation et il les surveille, surtout l’islam, pour éviter que "la pratique religieuse ne remettre en cause l'ordre républicain ou ne crée des troubles à l'ordre public". Les zélés fonctionnaires fréquentent les mosquées pour écouter les prêches des imams et surveillent les associations culturelles.
La France compte plus de 5 millions de musulmans, 8 % de la population française. Plus de la moitié sont croyants et pratiquants et 38 % des fidèles vont à la mosquée tous les vendredis. Depuis 2003, le gouvernement français veut réformer l'islam en France. Il a créé un Conseil français du culte musulman (CFCM), dans la grande tradition de la bureaucratie française. Un machin censé représenter l'islam auprès des pouvoirs publics. Comme la conférence des évêques de France, le Conseil représentatif des institutions juives de France ou la Fédération protestante de France. Le problème, c'est que l'islam n'a pas d'institutions, pas de hiérarchie, pas de représentants officiels. Les mosquées sont des fondations privées, financées par les fidèles et par des gouvernements étrangers. Les imams ne sont pas des religieux, mais des guides spirituels et des prêcheurs reconnus par leur communauté. Selon la tradition, tout croyant qui estime avoir l'enseignement nécessaire pour diriger la prière en commun peut être désigné comme imam.
Totalement inacceptable pour le juridisme français. Macron veut créer un Conseil national des imams qui devra labelliser les prêcheurs qui exercent sur le territoire national. Le CFCM a reçu l'ordre du président de rédiger une Charte des valeurs républicaines. Cette charte devra affirmer les valeurs de la République, préciser que l'islam est une religion et pas un mouvement politique et affirmer que les imams ne dépendent pas d'États étrangers Pour prêcher, tous les imams devront avoir une formation, une carte officielle et une formation certifiée label France. Exécution, vous me ferez rapport dans 15 jours !
Le problème, c'est que les neuf fédérations musulmanes qui composent le CFCM ne sont pas des évêchés soumis à une discipline hiérarchique. Certains recteurs de mosquée renâclent : "ce n'est pas à des laïcs de désigner les imams. Les imams ne sont pas des produits halal qu'il faudrait labelliser". Vous imaginez la bronca, si le ministre de l'Intérieur se mêlait de nommer les évêques, les pasteurs et les rabbins en France ! C'est vrai que le fonctionnement de l'islam en France est totalement opaque. Personne ne sait qui finance les mosquées et les associations musulmanes. On sait bien que les millions qui permettent de construire des mosquées ne viennent pas seulement des contributions des fidèles. Ce sont des Etats comme l'Algérie, le Maroc, le Qatar, l'Arabie Saoudite et de généreux donateurs qui mettent au pot. Personne ne sait non plus comment sont formés les imams qui prêchent dans les mosquées. Sur les 1800 imams en France, plus de 300 viennent de l'étranger, du Maghreb ou du Moyen-Orient. Ces imams étrangers sont formés dans des écoles coraniques, qui n’enseignent pas vraiment la tolérance religieuse.
Macron a accusé trois des fédérations musulmanes du CFCM de ne pas avoir "une vision républicaine". Notamment les Musulmans de France, proches de l'idéologie des Frères Musulmans, et Milli Görüs, l'organisation secrète des Turcs d'Allemagne, qui rêve d'instaurer en Turquie une nouvelle forme de gouvernement, sur la base du Coran et de la charia. Milli Görüs est le bras armé de l’islamisme conquérant d’Erdogan. Une confédération islamique qui gère 70 mosquées en France et qui compte plusieurs dizaines de milliers de membres.
On peut parier que la "charte des valeurs républicaines", chère à Macron, sera une belle déclaration de principes, qui mettra le feu aux poudres, comme la Charte de la laïcité. Pour beaucoup de jeunes musulmans, le Coran vaut mieux que la Constitution de la République, une et indivisible. Ils n'ont aucun respect pour les dirigeants autoproclamés de l'islam en France. Et ils se fichent pas mal de savoir quelle est la formation de leur imam, s'il a une carte officielle et le label France ! La devise de la France devrait être : la laïcité ne s'use que si on ne s'en sert pas.