Après la sixième journée d’action contre la réforme des retraites, la France vit entre l’illusion et la dérive. La grande illusion, c’est celle des nostalgiques de Mai 68. Il fallait entendre Alain Krivine, la mémoire vivante de la Ligue communiste, l’infatigable tribun de la pensée révolutionnaire, sur le plateau de C dans l’air. Malgré sa belle crinière blanche, l’ancien révolutionnaire, celui qui écrivait il y a quatre ans, un livre au titre prémonitoire : “Ça te passera avec l'âge”, croit toujours au Grand Soir et appelle de ses voeux la révolution en France. La grande illusion, c’est aussi celle de certains porte-parole de la CGT qui veulent “bloquer la France” et paralyser les centres commerciaux, “symboles du capitalisme”. La dérive, c’est celles des éboueurs de Marseille qui empoisonnent la vie de leurs concitoyens au nom de la grève contre la réforme des retraites. C’est celle des “casseurs” qui transforment le centre de Lyon en champ de bataille. ou qui mettent le feu à une école. C’est enfin la méthode de la CGT qui menace l’approvisionnement des Français en carburant pour faire pression sur le gouvernement. Tout le monde a compris que la grève lancée contre la réforme des retraites est devenue la révolte de la rue contre la politique sociale et économique du gouvernement. La retraite, c’est la goutte qui a fait déborder le vase des frustrations. Comme le disait une infirmière bretonne à RTL : “On vit dans un pays où en en bave tous les jours”. Ou, selon un syndicaliste : “On nous fait payer notre retraite, alors que les banques font des profits énormes”. Le journal suisse Le Temps analyse ainsi la crise : “La panne sociale française est symptomatique d’une démission politique qui consiste à éviter les questions qui fâchent pour trouver des boucs émissaires. Autrefois le grand capital, hier la mondialisation et l’Europe, aujourd’hui la crise financière et le gouvernement.” Pour l’instant, sept Français sur dix seraient favorables à la grève. Le dialogue social est totalement bloqué entre le président qui s’obstine à faire passer une loi impopulaire et les syndicats soutenus par la gauche, qui veulent “remettre à plat” le projet, en manifestant dans la rue, en bloquant les raffineries et en menaçant de paralyser le pays. Mais la France, dont le déficit atteint 160 milliards, dont le chômage frappe près de 10% des actifs, a-t-elle vraiment les moyens de se payer un long conflit social ? Difficile de mesurer les conséquences d’une grève sur l’économie nationale. Pour l’instant, l’impact est limité, mais les estimations varient entre 120 et 400 millions par jour, selon les secteurs pris en compte. Le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises estime les pertes à 0.2 à 0.3% du PIB, c’est à dire plus de 3 milliards d’euros après neuf jours de grèves. L’illusion d’un nouveau Mai 68 combinée aux dérives populistes rendent la situation dangereuse : la France se révolte contre une réforme des retraites promise par des gouvernements de gauche comme de droite, qui n’ont jamais été expliquées clairement aux Français, qui n’ont jamais abouti faute de financement. Mais cette révolte déborde le cadre d’un conflit social. Dans une période de crise, de chômage et de frustration sociale, tout le monde comprend qu’il y a un risque de paralysie et d’embrasement
Billet de blog 21 octobre 2010
Grèves et manifestations : l’illusion et la dérive
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