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Billet de blog 29 octobre 2010

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Francophonie : “déçus en bien”

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“Déçus en bien”. Cet oxymore (deux termes contradictoires) , souvent utilisé en Suisse romande, s’applique parfaitement au XIIIe sommet de la francophonie qui vient s’achever à Montreux, en Suisse. Pourquoi en Suisse ? Etonnant d’organiser une grand-messe francophone dans un pays multilingue, où l’allemand (ou plutôt le suisse-allemand) est la langue principale. C’est à cause de Madagascar, dont la situation politique ne permettait pas d’organiser un sommet francophone. Pendant des années, le gouvernement suisse à majorité alémanique ne voyait pas l’intérêt de participer aux grands-messes francophones. Sans le dire à haute voix, la Suisse craignait d’être instrumentalisée politiquement par la France. Comme le rappelle l’ancien député suisse Jacques-Simon Eggly dans le journal Le Temps: “La France n’était-elle qu’un partenaire ou un Etat dominant retrouvant là, sinon des traces impériales, du moins des pistes d’influence politique dans son optique nationale? Souvenons du cri d’un de Gaulle en 1967: «Vive le Québec libre!» A Berne on n’avait pas apprécié. Il faut dire que nous étions, nous en Suisse, en pleine affaire jurassienne et qu’un Roland Béguelin, champion du séparatisme, avait sauté de joie en apprenant ce cri gaullien”.

Toujours dans Le Temps, un chroniqueur soulignait malicieusement que le choix de Montreux pour abriter le sommet de la francophonie semblait incompréhensible : les délégués ont été accueillis dans la ville la plus anglophone de Suisse romande, au Music and Convention Center, dans une ville qui abrite le Jazz Festival et les “traders flambeurs et les VIP de la Jet society”. Montreux illustre un autre paradoxe de la Suisse. Dans ce petit pays de 7.5 millions d’habitants, qui compte quatre langues nationales, les échanges entre Romands et Alémaniques se font souvent en anglais. La Suisse romande, qui est minoritaire dans la Confédération, entretient avec la France des relations d’amour-haine. Les Romands sont tournés vers Paris comme capitale culturelle, ils lisent les livres et la presse françaises, ils regardent beaucoup la télévision française, ils adorent passer leurs vacances dans l’Hexagone. Mais ils ne supportent pas que les hommes politiques et les médias français les appellent avec condescendance “nos amis suisses”. Ni qu’ils se moquent de l’accent suisse et de la lenteur d’expression des Helvètes. Les Romands, à leur tour, raillent la tendance des Français à se prendre pour le nombril du monde ou leur rêve de grande puissance. Evidemment, les grèves et les manifestations dans la rue leur apparaissent comme un folklore anachronique. Et les débats enflammés dans les médias français comme des exercices de logorrhée stérile.

Mais les médias romands - notamment la télévision et la radio publiques - ont fait un effort remarquable pour faire comprendre ce que représente la francophonie dans le monde, avec ses 220 millions de gens qui parlent français, la seule langue avec l’anglais utilisée sur les cinq continents. La ministre suisse des Affaires étrangères a souligné que le sommet de la francophonie était “un atout pour la Suisse” et que “la Suisse se sentait bien dans la francophonie”. Cet enthousiasme n’est pas partagé par la Suisse alémanique, où le sommet de la francophonie a été presque ignoré par les médias. A Zurich, à St Gall ou à Winterthur, ce qui se passe en Allemagne passionne plus les lecteurs et les auditeurs que l’avenir de la langue et de la culture française.

Pourtant, le combat de la France contre l’uniformisation de l’anglais, le rôle de la culture française et les valeurs qui lui sont associées - comme les droits de l’homme, l’exception culturelle - sont souvent accueillis avec sympathie, même s’ils irritent parfois les Suisses. Dans les nouveaux équilibres qui se mettent en place entre l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde et le Brésil, le quotidien suisse affirme que “la France possède toutefois un atout de taille: sa langue, le français, le dernier attribut qui en fait malgré tout une puissance au-dessus de la moyenne. Le français est l’«arme» qui permet à la France de rayonner, encore, sans commune mesure avec son poids réel en tant qu’Etat”. C’est probablement pour cela que les Suisses sont déçus en bien par les résultats du premier sommet de la francophonie organisé dans leur pays.

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