« Je pense que si tu es tombé malade c’est que tu n’as pas digéré l’attitude de ta sœur…
- Oui… Du coup je lui ai rendu tout son repas… Beuaaaah !
- Tu as rendu, tu ne lui as pas rendu à elle… C’est dommage d’ailleurs, tu as manqué d’à-propos sur ce coup-là ; au moment de lui dire au revoir… Et tiens, le cake aux olives, le tartare de Saint-Jacques, la caille et son coulis de machin avec sa purée de truc au miel… vlan sur ton carrelage… Oh cette purée au miel… Dieu sait que je n’aime pas les cailles; quand j’ai vu le plat arriver je me suis dit que j’allais m’en tirer en mangeant les légumes, mais après avoir goûté la purée j’étais obligée d’attaquer l’oiseau. Ne pas toucher à l’assiette du tout ça l’aurait foutu trop mal… Peut-être que c’était ta caille qui n’était pas bonne, c’était peut-être une caille malade…
- Une caille piranha.
- Oui. Ou bien c’est une huitre…
- Oui, j’ai mangé beaucoup d’huitres.
- Il suffit d’une. Qu’est-ce qu’elles étaient laiteuses ces huitre ! C’est bizarre pour un mois en « bre ».
- En « r ». Ce sont les mois en « r », à moins que tu ne dises « marbres » et « abril ».
- Les hispaniques disent abril.
- Tu n’es pas espagnole.
- Non, mais je pourrais. La petite amie de ton cousin, la vénézuélienne, la robe qu’elle avait. Quand on parle d’un décolleté jusqu’au nombril on exagère pas toujours… Avec ce tissus vert à paillettes elle ressemblait vraiment à un animal exotique. Sur la photo de famille je me sentais moins seule.
- Parce que tu te sens seule avec ton mec et ton fils ?
- Non, ce n’est pas ce que je veux dire, mais comme il faut bien reconnaître que notre fils a plutôt hérité de ta carnation, disons que j’étais pas la seule métèque quoi ! Qu’est-ce qu’il m’a fait rire le petit quand, au moment de trinquer il s’est mis à hurler « LEHAÏM ! ». La tête de ta mère ! « Qu’est-ce qu’il dit ? ». « Il dit santé en hébreu.». « Ah… ». D’ailleurs en fait ça ne veut pas dire santé, ça veut dire littéralement « à la vie ». Il n’y en avait pas un qui connaissait, surprenant quand même, non ? Il me semblait que c’était assez connu… Il n’y a que la vénézuélienne qui n’avait pas l’air étonnée. Faut dire qu’elle parle au moins deux langues… « Non mon chéri, là ce n’est pas « lehaïm » qu’on dit c’est « joyeux noël ». « JOYEUX RONEL ! ». « C’est ça mon lapin. ».
- Il est pas contrariant, lui.
- Non. C’est pas comme ta sœur. Mais quelle mouche l’a piquée de me hurler dessus comme ça, en plein pendant le chapon ? Pour une fois que j’avais encore faim pour le plat de résistance ! C’est sûrement parce que j’avais échappé à une partie de l’apéro en allant coucher le petit. Je ne comprendrai jamais pourquoi ta mère qui chaque année prépare des homards, des côtes de bœuf, des crabes et des volailles géantes, fait durer ces apéritifs où on se gave de chips et de saucisses en boîtes. En fait j’avais encore faim parce que j’avais échappé aux saucisses. Je pense que ta sœur me déteste. C’est marrant quand même je ne m’en soit pas aperçue avant…
- Bah vu comme ça tu as gagné dix ans.
- Oui. Pour une parano comme moi on peut même dire que c’est une forme de progrès. Quand le coup est arrivé ça m’a d’autant plus cueillie que je ne l’avais pas vu venir. J'avais bien mon bouclier habituel destiné à me protéger des attaques éventuelles de ta mère, mais de ce côté là j'avais complètement lâché la garde. Pourtant en y repensant elle avait commencé à être désagréable au moment des cadeaux. Quand je lui ai donné son paquet je lui ai dit : « c’est un assortiment de petites choses à déguster en famille », et elle m’a répondu sèchement « eh bien comme ça je suis prévenue. ». Bon d’accord le paquet ne ressemblait à rien, mais j’avais passé du temps à lui choisir des produits sympathiques, des choses qu’on ne doit pas rencontrer dans les marchés autour de chez elle. Justement je voulais éviter le genre de cadeaux qu’elle nous a fait, impersonnels, du style de ceux qu’on doit trouver sous l’arbre du comité d’entreprise. Qu’est-ce qu’il y a, ça ne va pas ?
- Non je ne me sens pas très bien, je crois que je vais m’allonger un peu. ».
Peut-être est-ce à cause de sa sœur, ou bien d'une huitre, ou encore de la fatigue accumulée en cette fin d’année. Peut-être que le repas du 25 était le repas de trop. En fait il y a tant de raisons de tomber malade un 26 décembre que c’est à se demander comment on fait pour être en bonne santé ce jour-là.