Longtemps vu comme un mouvement presque folklorique en Allemagne, en dépit des sorties antisémites de ses membres, les Reichsbürger -littéralement, citoyens du Reich- avaient fait parler d’eux une première fois en 2016 lorsque l’un d’entre eux avait accueilli d’une rafale de balles les policiers venus lui confisquer les armes qu’il détenait illégalement chez lui. Wolfang P., âgé d’une cinquantaine d’année, s’était vu condamné à la réclusion à perpétuité par la BGH, la Cour fédérale de justice allemande, qui juge les faits les plus grave en dernière instance. Les balles tirées par Wolfang P. à travers sa porte d’entrée avaient blessé plusieurs membres des forces de l’ordre, dont un mortellement.
Wolfang P. était convaincu de l’illégitimité de l’Etat fédéral. Il ne participait pas à la vie commune, ne payait pas d’impôt. Il avait demandé sa désinscription des registres officiels, et voyait en son domicile un territoire où s’appliquait sa propre loi souveraine. Cette ligne diffère de celle défendue par d’autres Reichsbürger, les uns étant nostalgiques du IIIème Reich, les autres de la Prusse par exemple. Toutefois, tous ont en commun une affiliation marquée avec l’extrême-droite et une détestation pour la République fédérale.
Fort de plus de 21 000 membres, ce courant a fait l’objet d’une attention soutenue des autorités allemandes depuis le meurtre de 2016, qui les a poussé à relever les effectifs estimés du mouvement passant alors de 4 500 à plus de 12 000 membres après l’attentat. En six ans, les Reichsbürger auront donc réussi à grossir leurs rangs d’au moins 8 000 nouvelles recrues. Il faut souligner que la branche concernée par l’enquête en cours est particulièrement radicalisée, et théorise le recours à l’action violente pour imposer ses idées. Le répertoire d’action des Reichsbürger est de manière plus général tourné vers l’action non-violente, la désobéissance civile par exemple. Ainsi, une action classique des membres du groupe consiste à produire de faux papiers d’identité marqués de l’aigle du Reich, à modifier leur plaque d’immatriculation, à ne pas payer d’impôt à cette République qu’ils souhaiteraient voir disparaître. Si les méthodes divergent, les mêmes valeurs nauséabondes restent en embuscades.
Ces rituels un peu loufoques peuvent amuser, mais les idées défendues par les Reichsbürger sont bien celles de l’extrême-droite. Un article de l’Express en 2017 décrivaient ces militants comme un « mélange de néonazis et complotistes ». Le 29 août 2020, certains d’entre eux parviennent même au pied du Reichstag pour agiter des drapeaux du Reich, qui abrite le Parlement allemand, aux côtés d’adeptes de QAnon, au cours d’une manifestation d’extrême-droite qui a dégénéré. Cet évènement, qui précède de quelques mois l’attaque du Capitole aux Etats-Unis, avait suscité une vive émotion en Allemagne, ainsi qu’une condamnation quasi-unanime de l’action, forte de sa symbolique antiparlementaire, par la classe politique.
Le mouvement a particulièrement inquiété les services de renseignements d’outre-rhin ces dernières années. Il faut dire que les violences politiques d’extrême-droite suivent une dynamique inverse de celles attribuées à l’extrême-gauche : elles augmentent. Dans son article « Le terrorisme et les élections allemandes 2017 », le chercheur Henri Ménudier relève que les violences d’extrême-droite surpassent de 497 occurrences celles d’extrême-gauche pour l’année 2016 en Allemagne, et présentent une augmentation de près de 14% sur un an. Une évolution d’autant plus préoccupante que les Reichsbürger sont bien armés, ce qui avait poussé le Land de Bavière à entamer un processus de désarmement de ces activistes après le meurtre de 2016. Un article du Welt à ce sujet soulignait les difficultés de l’institution policière de l’Allemagne fédérale à identifier les militants d’extrême-droite parmi les 218 000 détenteurs d’armes allemands.
Cette identification est rendue très difficile par le caractère décentralisé de l’organisation, poussé à l’extrême. En plus des différentes tendances qui composent les Reichsbürger, il n’existe pas de cadre hiérarchique clair, pas de chef.fe du mouvement. Chacun y est libre de se déclarer prince de ceci, impératrice de cela. On pourra citer le cas de Peter Fitzek, auto-proclamé roi d’Allemagne, arrêté en 2017 pour avoir escroqué plus de 1,3 million d’euros. Parmi les militants arrêtés dans le cadre de la tentative de coup d’Etat, on retrouve une figure de l’aristocratie allemande, sous le pseudonyme du prince Heinrich XIII Reuss, nommé d’après le noble du même nom, souverain d’une principauté de 1800 à 1817, date de sa mort. Le journaliste franco-allemand Nils Nilcke, reprenant un article de la chaîne allemande MDR, relève que le personnage occupait un rôle important dans le financement du groupe.
Plus étonnant, parmi les figures du mouvement arrêtés dans le cadre de l’enquête, on retrouve également… une ancienne élue de la République fédérale. Birgit Malsack-Winkemann, ancienne parlementaire, a reçu, à son domicile familial, une visite des forces spéciales allemandes en tenue d’intervention sur le coup de six heures du matin. Membre du parti d’extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland), elle entre au parti très peu de temps après sa création, dès 2017, et est élue jusqu’en 2021, après quoi elle ne parvient pas à se garantir une place suffisamment sécurisante sur la liste électorale. L’ancienne parlementaire est à présent suspectée d’avoir tenu un rôle actif dans la planification du coup d’Etat.
L’opération mise en œuvre pour réaliser ce coup de filet est d’une ampleur impressionnante. 3000 policiers sont mobilisés pour mener à bien 130 perquisitions et appréhender les suspects à leur domicile.
Les procureurs en charge du dossier insistent à la fois sur la radicalité des militants et sur le stade avancé de leur projet. Repris par Libération, ils affirment que ces Reichsbürger seraient convaincus que mener à bien leur projet ne pouvait passer par un moyen autre que « l’utilisation de moyens militaires et de la violence contre les représentants de l’Etat ». Les militants se seraient alors déjà « lanc[és] dans des actes préparatoires concrets à cet effet ». L’un des procureurs, Peter Frank, va même jusqu’à affirmer que le groupe était parvenu à mettre sur pied une véritable « nouvelle Armée allemande » avec la ferme intention de s’en servir pour marcher sur le Reichstag. Cette affaire n’est pas sans rappeler « l’Opération Azur » de Rémy Daillet, qui avait pour horizon de prendre l’Elysée par la force. A l’extrême-droite, l'antiparlementarisme reprend forme.