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Billet de blog 29 mai 2025

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Les faussaires de la démocratie

Quand le langage démocratique est retourné contre lui-même, il devient urgent de rappeler ce que nous voulons vraiment défendre. La démocratie n’est pas une simple procédure électorale. Elle est un travail, certes parfois ingrat, de discernement, de mémoire. Ce que JD Vance, Marco Rubio et Elon Musk mettent en œuvre n’est pas une défense du pluralisme. C’est une offensive civilisationnelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est des nouvelles qui révèlent plus qu’elles n’annoncent. Ainsi, cette scène relatée le 29 mai dans NBC News : le vice-président américain JD Vance s’inquiète du sort réservé à l’AfD, parti d’extrême droite allemand, récemment classé comme « organisation d’extrême droite avérée » par les renseignements fédéraux. Le secrétaire d’État Marco Rubio parle de tyrannie. Elon Musk, dans son style péremptoire, déclare : « seule l’AfD peut sauver l’Allemagne ».

Ce n’est pas une satire dystopique, mais bien la réalité géopolitique de 2025. Une réalité dans laquelle des figures de l’extrême droite américaine, passées maîtres dans l’art du retournement sémantique, se présentent comme les derniers remparts de la démocratie tout en soutenant, de l’autre côté de l’Atlantique, ceux qui s’emploient à en abattre les fondations.

Ce retournement est plus qu’un paradoxe : c’est une méthode. L’AfD n’est pas un simple parti contestataire. Il est l’héritier assumé d’un imaginaire autoritaire, racialiste, révisionniste. Il nie la mémoire de l’Holocauste, fantasme une homogénéité perdue, et réactive les vieux mécanismes d’exclusion. L’un de ses fondateurs, Alexander Gauland, a un jour qualifié le nazisme de simple « fiente d’oiseau » dans le récit millénaire de l’Allemagne, une formule aussi cynique que révélatrice de la stratégie mémorielle à l’œuvre : dédramatiser les crimes, banaliser l’horreur, dissoudre la responsabilité.

Et pourtant, voilà que l’administration Trump s’en fait la protectrice. Sous couvert de défendre le pluralisme, elle défend l'indéfendable. Elle retourne les principes contre eux-mêmes. Elle mime la liberté pour en faire une parodie.

On aurait tort de croire qu’il s’agit d’un simple excès idéologique ou d’une provocation de plus. Le geste est plus calculé, plus perfide : instrumentaliser les défauts réels de nos démocraties pour légitimer leur contournement. Oui, nos régimes battent de l’aile : désaffection électorale, technocratie distante, fractures sociales béantes, perte de sens du projet commun. Mais c’est précisément sur ce terreau que prospèrent les falsificateurs de la démocratie.

La stratégie est éprouvée : s’ériger en victime d’un système « décadent », parler au nom d’un peuple supposé trahi, dénoncer la surveillance de groupes extrémistes comme une censure, et réhabiliter les figures les plus sombres de l’histoire en invoquant la liberté d’opinion. La méthode est celle de la confusion : abolir les seuils, relativiser les faits, disqualifier la vigilance comme une tyrannie, faire de la mémoire un fardeau à liquider.

Ce que JD Vance, Marco Rubio et Elon Musk mettent en œuvre n’est pas une défense du pluralisme. C’est une offensive civilisationnelle. Ce qu’ils souhaitent, ce n’est pas que l’Europe retrouve son âme c’est qu’elle abdique son histoire. Leur vision n’est pas démocratique, mais mimétique : faire de chaque nation un double vassalisé de l’Amérique trumpienne, saturée de ressentiment, obsédée par l’ennemi intérieur, ivre de son propre discours de grandeur.

La démocratie devient alors un théâtre où chacun joue son rôle à l’envers : les extrémistes deviennent des dissidents, les journalistes des agents du régime, les services de renseignement des polices secrètes. Ce ne sont plus les actes, les projets ou les discours qu’on juge, mais l’appartenance supposée à une caste, une élite, un complot. Le réel est dissous, la mémoire souillée, et la violence maquillée en légitime défense.

Il ne suffit plus de dénoncer ces manipulations. Il faut nommer ce que nous sommes en train de perdre. La démocratie n’est pas une simple procédure électorale. Elle est un travail, certes parfois ingrat, de discernement, de mémoire, de refus des extrêmes. Elle repose sur un équilibre fragile entre liberté et responsabilité, entre ouverture et vigilance, entre désaccord et respect. Ce qui la menace aujourd’hui, ce n’est pas seulement le populisme criard, c’est la contamination insidieuse du langage démocratique par ceux qui veulent en inverser le sens.

Face à cela, notre tâche n’est pas de sauver la façade. Elle est de réhabiter la démocratie de l’intérieur, avec lucidité, exigence, courage. Cela suppose de reconnaître ses failles, mais sans se tromper d’adversaire. Car entre réparer un édifice et en célébrer l’effondrement, il y a toute la distance entre la critique politique et la haine de la politique.

Ne nous y trompons pas : quand un pouvoir qui encense l’AfD prétend défendre la liberté, il ne s’agit pas de pluralisme. Il s’agit de revanche. Et la démocratie ne peut survivre à long terme si elle oublie qu’elle est aussi un rempart, non contre l’opinion, mais contre l’instinct de domination, la régression et l’amnésie organisée.

https://www.nbcnews.com/politics/trump-administration/trump-administration-german-politics-defense-afd-rcna209177

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