Notre 5ème République, qui à 66 ans a l’age de la retraite, est née dans une France colonialiste, préconciliaire où moins de 10% d'une classe d'âge obtenait le baccalauréat, où le service national durait 2 ans et demi, où l'information passait principalement par les journaux et la radio et où les femmes étaient des mineures économiques. Aujourd'hui, dans une France membre de l'UE, sécularisée, post #metoo, où 80% d'une classe d'âge termine des études secondaires et où la circulation de l'information est devenue horizontale, les taux d'abstention croissants, et maintenant majoritaires, témoignent de la fracture entre les citoyens et les élus. Plus qu'une crise de la représentation c'est bien une crise majeure du consentement à toute décision politique verticale à laquelle nous devons faire face.
De plus les enjeux du XXIème siecle ne sont plus ceux de la reconstruction du pays ni de la décolonisation : tout d’abord le changement climatique est là, la 6ème extinction des espèces est en cours, les écosystèmes se dégradent à vue d’œil. Les conséquences de cette entrée dans l’anthropocène nous mettent face au tragique ultime de l’histoire c’est-à-dire les conditions de survie de l’espèce humaine. En terme de droit la constitutionnalisation de l’écocide, l’instauration d’une loi de transition écologique suivie au même rang que la loi de finances, la systématisation d’étude d’impact écologique pour toute loi ou texte d’application, l’interdiction de loi ou d’amendement induisant des charges sur le climat ou la biodiversité et un véritable contrôle des lobbys afin de garantir une loi au strict service de l’intérêt général seraient des outils indispensables pour maitriser les transformations écologiques en cours dans le cadre institutionnel actuel. Néanmoins les changements radicaux à opérer nécessitent le consentement explicite et éclairé des citoyens et donc la mise en place du Référendum d’Initiative Citoyenne en toutes matières et à minima approbatoire et abrogatoire.
L’autre enjeu majeur est équivalent à celui du XVIIIème siècle où le pouvoir est passé des détenteurs des terres et de leurs droits afférents aux détenteurs du capital. Aujourd'hui le pouvoir est en train de glisser des détenteurs du capital aux détenteurs des données et des algorithmes. On est dans un moment de bascule où il faut revoir de fond en combles les règles du pouvoir.
L'enjeu est soit le pouvoir des humains avec plus de démocratie réelle soit le pouvoir des algorithmes avec plus de monopolisation du pouvoir par les GAFAM et leurs homologues. Pour ce faire il serait utile de constitutionnaliser la prééminence de la gestion des communs, physiques et numériques, par rapport à la propriété lucrative privée, la non appropriation des données personnelles comme la non brevetabilité du vivant et la transparence et le contrôle citoyen des données et des algorithmes.
Cette révolution numérique qui en même temps donne accès à toutes les informations et fait que chacun vit dans son propre monde a un impact structurant sur le fonctionnement notre démocratie. En effet la culture d’horizontalité induite par l’expérience des réseaux sociaux rend de plus en plus illégitime la verticalité du pouvoir. Dans le même temps le débat public, entre l’entre soi des éditorialistes des médias main stream, la multiplication des fake news sur les réseaux sociaux et la quasi-disparition du rôle de proposition programmatique des partis politique ne permet plus d’avoir un débat politique éclairé. Il est donc essentiel de recréer des lieux de délibération qui permettent d’inclure toutes les sensibilités et expériences de vie de la population. Cela ne pourra se faire que par la mise en place d’assemblées citoyennes tirées au sort à tous les niveaux de pouvoir, de la commune à la nation. C’est surtout le moyen pour que les élus rendent réellement des comptes et pour que les simples électeurs-consommateurs que nous sommes se transforment en citoyens coresponsables des biens communs.
Aujourd’hui les citoyens qui ont pu voter pour consentir aux règles actuelles du pouvoir ont plus de 87 ans. Pour faire face collectivement aux enjeux du XXIème siècle il est donc indispensable de revoir les règles du pouvoir : qui décide de quoi pour contraindre qui et au bénéfice de quoi et qui. C'est bien l'objet d'une constitution qui définit les valeurs communes à préserver, les droits à garantir et les règles du pouvoir. L'acceptation des choix à venir nécessite donc de mettre enfin le citoyen au cœur du processus de décision politique.
Entre 1958 et 2024 il y a eu 25 révisions de la constitution mais on peut compter 7 modifications majeures qui ont progressivement transformé nos institutions*. De fait, depuis 2008, nous somme dans la République Française 5.7 et depuis 2023 avec la .constitutionnalisation du droit à l’IVG dans la 5.7.1
La seule question qui vaille est : de quelle constitution avons nous besoin ? Les débats actuels se contentent en général de rester entre les thuriféraires de la 5ème république qui voudraient revenir à la 5.1 en s’affranchissant du pouvoir du conseil constitutionnel, ceux qui se contentent de la constitution actuelle et ceux qui souhaiteraient simplement une 5.7.2 pour rééquilibrer les pouvoirs entre le parlement et le gouvernement et aller vers un régime plus parlementaire.
Les enjeux actuels nécessiteraient de passer à minima à une république 5.8 permettant de disposer d’outils constitutionnels pour combattre le dérèglement climatique et l’accaparement du monde par les géants du numérique mais j’estime que ce combat ne peut être victorieux que par une mobilisation massive des citoyens et donc par une république 6.0 qui positionne le citoyen au cœur du processus de décision politique. On n’y parviendra pas par une commission d’experts ou une assemblée constituante élue, seule une assemblée citoyenne constituante tirée au sort, dégagée des enjeux partidaires des politiques professionnels, pourra envisager cette évolution.
Pour aller plus loin une piste de réflexion ici : https://www.senatcitoyen.fr/Loi%20Constitutionelle et une pétition à signer là : https://www.change.org/p/pour-une-nouvelle-constitution-une-r%C3%A9ponse-institutionnelle-%C3%A0-une-crise-institutionnelle
*5.1 - En 1962 l’élection du président de la république au suffrage universel a transformé le président arbitre en gouvernant suprême,
5.2 - En 1974 la saisine du conseil constitutionnel par les députés et sénateurs a permis l’émergence du juge constitutionnel. Juge qui depuis 1971 reconnaît une valeur constitutionnelle aux préambules : la DDHC et le préambule de 1946, comme plus tard la charte de l’environnement. Les droits qui y sont énoncés sont devenus ainsi opposables aux lois
5.3 - En 1992 l’inscription du primat de la réglementation Européenne suite au traité de Maastricht a consacré la perte partielle de souveraineté des citoyens français. Ce primat a été confirmé et étendu en 1999 (Amsterdam), 2005 (TCE) et 2008 (Lisbonne)
5.4- En 2000 l’instauration du quinquennat a définitivement enterré l’indépendance de l’Assemblée Nationale et le rôle du premier ministre,
5.5 - En 2003 l’inscription du principe de décentralisation qui constitutionnalise le principe des lois Deferre
5.6 - En 2005 la charte de l’environnement ouvre la possibilité, encore balbutiante, d’une république écologique,
5.7 - En 2008 plus d’un tiers des articles ont été modifiés, augmentant théoriquement les pouvoirs du parlement, instaurant le RIP et permettant aux citoyens d’interpeller le juge constitutionnel par la Question Prioritaire de Constitutionnalité.