Lettre ouverte à mes collègues, ma hiérarchie directe, aux parents, à l’opinion et à Madame la Ministre de la Jeunesse, des Sport, des Jeux Olympiques et de l’Education Nationale
Je suis professeure des écoles depuis 2004 et syndicaliste à la FSU-SNUipp71, depuis 2010.
En 20 ans d’exercices, j’ai été soumise à rude épreuve en tant qu’enseignante puis en tant qu’enseignante et syndicaliste du fait de mon ministère de tutelle.
Aujourd’hui, la coupe est définitivement pleine. Je m’adresse ici à vous Madame la Ministre, nullement dans l’intention que vous m’écoutiez, tant vous m’avez vous-même convaincue de votre dédain le plus profond pour nos métiers et notre Service public d’Éducation.
Je m’adresse à vous simplement pour vous informer que je désobéirai, en conscience, aux nouvelles injonctions ministérielles relatives au « choc des savoirs » dont l’entrée en vigueur est prévue pour la rentrée 2024 (s’il était réellement mis en œuvre, ce qui nécessiterait certainement un vote à l’Assemblée Nationale). C’est là la seule information que je souhaitais vous transmettre.
La suite de cette lettre s’adresse à mes collègues, ma hiérarchie directe, aux parents, à chacun et à chacune.
Cette intention de désobéir relève pour moi d’une question de dignité et de conscience professionnelle animée par l’unique volonté de tout mettre en œuvre pour faire réussir les élèves. En effet, en tant que Fonctionnaire d’État, mon statut ne m’enjoint pas à obéir aveuglément à l’intérêt particulier d’un homme, fusse-t-il Président de la République, mais à être au seul service de l’intérêt général.
Or, le « choc des savoirs » conçu par l’actuel premier ministre sous la tutelle du Président de la République, ne permet en aucun cas de satisfaire l’intérêt général. C’est même tout le contraire.
Comme toujours, les mesures annoncées s’inscrivent sur fond de tentative de division : entre les classes sociales, entre les parents et les enseignants, entre les élèves et les enseignants, entre les enseignants eux-mêmes... Les uns empêcheraient les autres de « s’envoler », les élèves et les parents ne respecteraient plus les profs qui, eux-mêmes feraient mal ou pas assez, certains enseignants seraient plus méritants que d’autres parce qu’ils ont souscrit au Pacte… Quelle gouvernance misérable que ce « diviser mieux pour mieux régner » ...
Ce parti pris de la défiance des uns envers les autres, à l’œuvre dans les propositions du « choc des savoirs », constitue la raison première de mon opposition.
Le « choc des savoirs » constitue une réelle maltraitance pour le métier d’enseignant. Pour nous professeurs, c’est la fin de la reconnaissance de notre expertise professionnelle, acquise sur le terrain et grâce aux formations suivies sur notre temps personnel, faute de formations institutionnelles qualitatives et suffisantes. C’est la fin de notre référentiel métier qui nous définit comme concepteur des apprentissages que nous mettons en œuvre : mission reconnue par notre statut de fonctionnaire de catégorie A de la Fonction Publique.
L’obligation d’utiliser des manuels labellisés par le ministère, c’est du jamais vu depuis le Maréchal Pétain et le ministre Guizot ! C’est la fin de la liberté pédagogique reconnue depuis toujours aux enseignants : liberté inscrite dans la Loi de 2005 par un gouvernement pourtant de droite.
Il est vrai que le ministre Blanquer avait affirmé, en son temps, que la liberté pédagogique ne signifiait pas « la liberté de faire n’importe quoi ». Le mépris encore et toujours craché au visage des enseignants qui seront, avec ce « choc », transformés en simples exécutants.
Quant aux élèves : il s’agit de les trier comme le bon grain de l’ivraie, pour s’occuper du bon grain et mettre de côté définitivement l’ivraie. C’est la fin de la démocratisation scolaire non seulement au collège, avec la mise en place des groupes de niveaux, mais aussi en primaire avec l’obligation de mettre en œuvre des apprentissages purement mécanistes.
Le bon grain pourra se cultiver hors les murs de l’école avec ses parents. Le mauvais se contentera de remplir des QCM de culture générale en lieu et place de cours de QLM (questionner le monde), de sciences, d’histoire, de géographie.
Le « choc des savoirs » veillerait aussi à mater tous les élèves, en revenant à « l’Instruction Civique » chère à Sarkozy, en lieu et place de l’Education Morale et Civique. Apparemment l’apprentissage de la Marseillaise y serait à l’honneur, par décision de notre Monarc (anagramme de M…) parce que la Marseillaise, c’est la France, selon lui.
Sauf que la France c’est bien d’autres choses : la Philosophie des Lumières, la Patrie des Droits de l’Homme, une Constitution où la République est qualifiée dans son article 1er de laïque, de démocratique et de sociale. Citons aussi la suite immédiate de l’article :
« (La République) assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
La République doit donc assurer la démocratisation de notre système scolaire afin de permettre l’égal accès aux études supérieures, à l’avenir de son choix.
Alors, le « choc des savoirs », instrument de la ségrégation, c’est NON !
Marie
Enseignante en école publique, en CE1/CE2