Se saisir de l’Egalité
Présentation du20 juin
L’Etat
La question posée ici est-elle : qu’est-ce que l’Etat ?
En vérité non. Tout le monde sait ce qu’est l’Etat. Nous savons même, depuis Montesquieu, et ce définitivement, qu’Il y a plusieurs espèces de pouvoirs, celui de l’Etat incarnant plusieurs modalités de puissance.
Nous faisons le pari, quant à nous, de penser l’Etat tel qu’il se déploie dans son vis à vis singulier avec les gens, séparé de l’énoncé propre et toujours renouvelé de sa puissance.
Nous sommes à la recherche d’une pensée de l’Etat. Laquelle doit être conditionnée ou rapportée au réel et non à une typologie déterminée de la structure étatique, à vrai dire multiple et changeante. Nous savons l’Etat apte à contenir en toute circonstance une infinité d’agencements possibles.
Qu’est-ce donc qu’une pensée de l’Etat ?
Tout d’abord, disons qu’il y en a plusieurs. Nous en citerons deux :
- une pensée historiciste de l’Etat, celle déployée par Marx et Engels. Le destin de l’Etat, un temps conservé, est lié au capitalisme et conditionné par sa fin[1]. En précisant néanmoins qu’après la Commune, Marx soutiendra que le prolétariat ne peut pas “se contenter de prendre l’appareil d’Etat existant et de faire fonctionner tel quel cet instrument pour son propre compte. La première condition pour conserver le pouvoir politique, c’est de transformer l’appareil existant et de détruire cet instrument de domination de classe.”[2]
- une pensée technique et intrinsèque : quel est le meilleur Etat possible ? En substance, qu’elle en est la meilleure formule. La pensée technique insufflera plus ou moins de formalisme démocratique, de représentativité doublée d’une grande sophistication en systématisant la nécessité d’approbations électorales continues. De débats, grands ou petits. Elle va de pair avec la recherche d’une constitution idéale. Une constitution aux pouvoirs augmentés, mais sans pouvoir réel pour les gens.
Dans ces configurations, il n’y a pas de pensée de l’Etat issue d’un rapport exclusif aux gens et susceptible de suivre, de l’extérieur de l’Etat lui-même, avec curiosité et indépendance ses agissements. A paraphraser Montesquieu, il faudrait raisonner en Persan et voir la vie de l’Etat comme ceux qui lui sont étrangers la voient.
Nous examinerons la possibilité d’une pensée de l‘Etat écartant la marque omniprésente et aveuglante de sa puissance.
La voie proposée ici se sépare d’une pensée de l’Etat en tant que système. Plutôt que sa fonctionnalité c’est la manifestation de sa finalité qui est au premier plan. Celle-ci s’exprime par un exercice du pouvoir dont la corruption organise la puissance. Selon 3 ordres de finalité :
- gouverner pour la minorité
- pervertir le droit
- asseoir l’inégalité
1/gouverner pour la minorité
L’Etat est l’organisateur, le centralisateur de la hiérarchie des intérêts et de leur préservation. L’ensemble se heurte aux intérêts du plus grand nombre. C’est en ce sens que l’Etat est étranger au plus grand nombre.
Qu’appelle-t-on « plus grand nombre » ?
On convient d’appeler le plus grand nombre : « les gens », c’est à dire une très large majorité constituant le réel essentiel, celui qui ne trouve pas intérêt au sort de l’Etat. C’est bien naturel, puisque les gens, n’ayant aucun bénéfice à la corruption pensent à leur vie et à la vie en général. Elle aussi est une part déterminante du réel, lequel peut alors être attaché au sort des gens. C’est ce par quoi la vie des gens tient au réel. Son usage s’établit par un commencement et s’énonce de la manière suivante : on s’éduque pour grandir, on grandit pour s’instruire, on s’instruit pour travailler. On travaille pour vivre. Le tout pour être heureux. Sinon qu’est-ce que la production de tout ça ? Une simple production? La production d’une vie ? N’est-ce pas plutôt la certitude que la vie des gens vaut plus que tout? Si beaucoup de gens se contentent de leur vie propre, ils vivent néanmoins dans l’idée que celle des autres compte. N’est-ce pas le fait patent qu’existent d’autres intérêts, d’une autre nature, liés à la vie des gens, étrangers à ceux de l’Etat et signes d’émancipation ?
On mesure l’Etat par les gens. Ainsi s’édifie une pensée de l’Etat, nait une idée de leurs intérêts et s’acquière la conviction que ces derniers doivent se transformer en droits.
2/ pervertir le droit
Au sens de l’Etat, le droit est le fait de la loi, laquelle, votée par les assemblées opère un retour à l’Etat lui-même. Le droit et la loi sont des opérateurs d’Etat. Considérons donc que deux voies se distinguent : celle du droit fruit du combat des gens, de leur organisation, d’une part, et d’autre part une perversion du droit dont la seule vocation est interne à l’Etat. Il y a plusieurs dizaines d’années les ouvriers de l’industrie licenciés par milliers partout en France se battaient pour que leur vie passée à l’usine soit digne d’être considérée. Leur mouvement fut ignoré. L’action des gens, figure du réel, ne délivre mécaniquement aucun droit. Le droit de notre époque est une figure d’Etat.
L’Etat dit le droit, qui désigne avant tout la norme fondamentale de l’Etat. Un ordre qui règle tout ce qui peut être normé, y compris le régime des libertés obtenu de haute lutte mais, on le sait, menacé.
Il faudrait, des Etats, ôter le nom de liberté et lui substituer celui de droit d’Etat. D’ailleurs, le régime des libertés publiques est attaché à la notion d’Etat de droit, c’est à dire qu’il ouvre à la possibilité de conduites libres, tout en procédant à l’institution d’actes de contrainte dont les lois d’exceptions, votées avec constance depuis quelques années par les législatures successives, sont la pointe la plus redoutable. La liberté y est conditionnée par un droit établi dans une subordination forte à l’idée de faute contre l’Etat. Cette idée, centrale, contribue à bâtir un dispositif activement répressif dont l’objectif principal, dans la dernière période, était la destruction acharnée des Gilets jaunes, en tant que figure du peuple hétérogène, véritable insulte à l’entendement bourgeois. Ni les peines ne furent proportionnées aux fautes, ni les troupes policières surarmées, étouffant toute velléité de manifestation, ne furent si près d’être employées à des fins strictement guerrières[3]. Un droit de guerre contre les gens, qui décrète que tel ou tel, selon qu’il manifeste ou non, qu’il se regroupe ou non avec d’autres, qu’il ait même l’intention ou non de manifester, mérite de subir un acte de justice, d’être condamné. Ces punitions normées, véritables représailles d’Etat anticipées bâtissent un principe juridique menaçant, un présupposé de la faute érigé en délit. L’infraction est imaginée, le coupable désigné. La peine fait le crime. La volonté, nous le savons, est de disperser le peuple, empêcher sa présence et ainsi priver les gens du seul gage de paix qui subsiste : s’assembler, se rassembler.
Dans une optique toute différente, la liberté doit être synonyme de sûreté pour tous, afin que les gens aient la possibilité de s’exprimer dans un climat de paix civile. Le droit des gens, sans existence formelle aujourd’hui, résulte uniquement du rapport établi entre eux. Il ne doit rien à un gouvernement quelconque ou au pouvoir en général et préfère à la loi de l’Etat celle du peuple[4].
L’ordre natif du droit, celui que les gens s’approprient naturellement parce qu’il est fait de justice et correspond à un souhait collectif, subit un certain nombre de bouleversements. On peut citer l’exemple de la loi du 14 mars 2016 qui change la nature du régime de protection de l’enfant en substituant au principe d’universalité de la protection celui de la discrimination nationale. La circonstance « être étranger » vient à l’appui d’une distinction nationale de l’enfant et lui est appliqué alors un régime d’exception à la règle commune.
Le législateur entérine l’usage permanent de prérogatives dévolues aux régimes d’exception. L’Etat dit “de police” se renforce, tend à s’affranchir du droit commun auquel il est tenu et forme ainsi un pouvoir arbitraire. Particulièrement dans la conjoncture présente, où faute de disposer d’un parti authentique, l’exécutif doit user d’autres leviers pour gouverner. Le principal est constitué de la puissance d’Etat. Le gouvernement macroniste, attentif au nombre croissant de ses ennemis, n’a de cesse, à tout propos et à la moindre mésaventure (loi travail, retraite, grèves, même pandémie) de renforcer le pouvoir d’Etat. Si les ennemis du prince sont ceux de l’Etat, il s’avère alors, pour suivre Montesquieu, que “la conservation de l’Etat n’est que la conservation du prince”.
Malgré tout, l’écrasante majorité des gens se conforme aux lois. Une grosse minorité vote et élit une magistrature électorale, qui lui est pourtant rarement favorable, afin d’exercer la souveraine puissance des dignitaires capitalistes. Le choix électoral porte sur des candidats aptes à tenir la puissance bourgeoise, jamais à l’abolir.
Beaucoup de gens peuvent même penser, au fond de leur désespoir, au creux de leurs illusions, que leur vie et celle de l’Etat ont partie liée, or son existence entière n’est que le signe de leur propre désorganisation, celui d’une impuissance provisoire.
3/ asseoir l’inégalité
Le ressort de ce gouvernement, ainsi que les précédents, est la corruption économique et financière. Maintenue au plus haut grâce à la circulation accélérée du capital et des profits, elle occupe en permanence les capitalistes les plus avides et les plus insatiables, eux-mêmes guidés par des aventuriers et des escrocs, une véritable bande prédatrice, une armée minuscule prête à tout qui veille à conserver intacte la captation des richesses, outrage délibéré à tous ceux qui dans ce monde n’ont que leur travail pour vivre. Ainsi l’Etat, et l’aristocratie bourgeoise pour qui le peuple n’est rien, atteint en quelque façon son but, sinon sa perfection.
C’est le capitalisme anglais qui invente l’Etat moderne, non pour sa perfection mais pour son utilité. C’est une idée avant tout pratique et efficace, une sorte de transfiguration de la sauvagerie inhérente à l’exploitation de l’homme par l’homme en règne électoral de l’économie. Il faut suivre Montesquieu reprenant Tacite (sur les mœurs des germains) en précisant à propos de “ la belle idée anglaise de leur gouvernement ” : « Ce beau système a été trouvé dans les bois ».
Rappelons que les deux tiers des milliardaires tirent leur richesse de l’héritage ou de la corruption des gouvernements, notamment des connivences croisées, des profits redoublés sur les plus pauvres grâce aux privatisations et aux délégations de service public. Le tout accélérant la détention des richesses entre les mains de quelques uns. La Banque mondiale, elle-même, convient de ce que « la réduction des inégalités contribue d’avantage à réduire la pauvreté extrême qu’une hausse de la croissance économique ». Et à nouveau, citons Montesquieu pour qui la loi, sur ce point, plus que l’Etat, est d’importance supérieure : « Pour que les richesses restent également partagées, il faut que la loi ne donne à chacun que le nécessaire physique. Si l’on a au delà, les uns dépenseront, les autres acquerront, et l’inégalité s’établira. Le luxe des uns fait la misère des autres. »
Un point, non conclusif sur la pandémie
La récente épidémie, nous l’avons dit dès le 20 mars, a révélé la capacité des gens à faire face. Elle a éprouvé les dispositifs d’Etat.
Le mensonge d’Etat formé dès les premières heures a éclaté, s’est répandu mais ne peut surprendre. Est-ce que la conscience que l’Etat a menti est significative ? Peut-on y déchiffrer un élément de pensée?
A y regarder de près, Il s’agit plutôt d’une somme misérable de secrets et d‘incompétences conjugués aux conséquences néfastes subies par des dizaines de milliers de gens. Dans tous les cas, voilà qui achève de rendre inutile tout espoir en une figure qui n’a d’autre dessein que de tromper. En effet, la nature de l’Etat, celle d’une finalité pervertie, est de corrompre jusqu’au crime et à l’infamie.
Le virus se propage, dit toute l’inégalité du monde et révèle la faillite de tout ou partie des puissances exécutrices de la planète qui ont proprement ruiné et sacrifié leur système de santé.
Le docteur Ibrahima Socé-Fall, chargé des interventions d’urgence à l’Organisation mondiale de la santé déclarait il y a peu [5] :
« Les messages ont été entendus. Avec beaucoup de retard dans beaucoup de pays. Les Etats les plus riches ont pensé être suffisamment bien armés pour affronter sans trop de dommages l’épidémie et ont considéré que le danger concernait surtout les pays les plus fragiles. Beaucoup ont été surpris et ont connu des difficultés pour affronter une épidémie de grande ampleur qui a touché toutes les villes, ce qui est rare dans les pays développés. Comme ces pays n’ont plus de système de santé communautaire, tout a reposé sur leur système hospitalier. Or, quand les malades arrivent à l’hôpital, c’est qu’il y a déjà eu une transmission importante dans la population. »
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Désormais, nous examinons les décisions, plus que la nature de la puissance étatique qui les porte. Les décisions valent pour tous, les Etats comme les gens. Dans un pays, le libre examen des décisions est un point d’égalité entre les gens et l’Etat.
L’Etat, quant à lui, tente de consolider quelques instruments de pouvoir utiles à la cause de sa finalité propre. Les élections sont par exemple un instrument de servitude par lequel les gens autorisent le gouvernement à gouverner et l’Etat à tenir une position de surplomb.
Il faut cesser d’accepter le surplomb, d’être soi-même en surplomb des gens. Leur vouloir ceci ou cela. Vouloir qu’ils veuillent, et être leur voix.
Chacun est “ungens“. Partons du principe, au nom de l’égalité et de l’intérêt de tous, que chacun le souhaite.
Ce que chacun connaît et vit suffit pour s’organiser mais l’organisation est un pas supplémentaire indispensable.
Nous proposons de commencer.
Se saisir de l’Egalité
Le 25 juin 2020
Contact : sesaisirdelegalite@gmail.com
Se saisir de l’égalité
Notre but est l’égalité, la justice et la paix civile. Aujourd’hui, règne la politique des intérêts, du profit, de la corruption et de la division des gens. Elle n’a pas d’autre finalité. Au fond, elle n’est rien. Il faut décréter la fin d’un monde sans finalité.
La paix civile est une aspiration naturelle à la paix mais aussi une volonté qui tient au réel et lui donne une signification véritable. Elle est une réponse aux tentatives renouvelées de guerre intérieure menées par l’Etat.
Une guerre d’exaltation du mépris, de la provocation et de la division contre le peuple tel qu’il est aujourd’hui : les gens des cités, les migrants, les gilets jaunes et d’autres encore. La guerre entre les gens ne règle pas leurs divisions. Elle en est une forme primitive, source de destruction. L’idée d’une paix civile immédiate est une cause publique qui unit les gens.
Nous sommes des militants partisans du traitement des situations telles qu’elles s’ouvrent à quiconque pour leur trouver issue malgré, ou contre s’il le faut, l’Etat, les élections, le gouvernement, les partis et les machineries d’opinion.
1 Citons : Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste (1848),« Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat, c’est à dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter le plus vite la quantités des forces productives. », Edition du Peuple, Pékin, p 58.
2 Karl Marx, Friedrich Engels, La Guerre civile en France, Editions du Peuple, Pékin, p 242.
[3]Lire les rapports 2018 et 2019 du Défenseur des droits.
[4]Et peut s’imposer : “Les Révolutions, les véritables, celles qui ne se bornent pas à changer les formes politiques et le personnel gouvernemental, mais qui transforment les institutions et déplacent la propriété, cheminent longtemps invisibles avant d’éclater au grand jour sous l’effet de quelques circonstances fortuites. La Révolution française, qui surprit, par sa soudaineté irrésistible, ceux qui en furent les auteurs et les bénéficiaires comme ceux qui en furent les victimes, s’est préparée lentement pendant un siècle et plus. Elle sortit du divorce, chaque jour plus profond, entre les réalités et les lois, entre les institutions et les mœurs, entre la lettre et l’esprit. »
Albert Mathiez, La Révolution française, Librairie Armand Colin, 1930.
[5]Journal Le Monde, le 20 mai 2020.