Le gouvernement et les gens, deux conceptions du rôle de l’Etat ?
Avec l’approche du dé-confinement, la joie d’en finir avec ses contraintes quotidiennes fut aussi troublée par un sentiment légèrement « dépressif »: va-t-on reprendre le cours « normal » des choses ? Est-ce que les questions ouvertes pendant la période de confinement vont se fermer ? Voilà quelques-unes des choses que des gens disent spontanément. Est-ce que cette période n’a pas ouvert la possibilité d’un questionnement sur notre mode de vie collectif et le rôle de l’Etat à l’égard de tous ?
L’épisode a peut-être révélé ce que pointait déjà le mouvement des gilets jaunes, à la fois l’abandon par l’Etat de gens en situation de grande précarité et l’existence d’une volonté populaire : l’Etat DOIT s’occuper des gens pauvres et précaires. Il doit leur permettre de vivre « normalement » et non pas seulement de survivre.
Mais il me semble que cette fois, tout le monde a été surpris par l’incurie du gouvernement, son incapacité à prévoir et à organiser, de manière rationnelle et conforme à ce que l’on pouvait penser être son rôle minimal : assurer la sécurité et la protection de tous en situation de catastrophe ou d’urgence. On pouvait penser que l’Etat était « insuffisamment »soucieux de catégories de la population en situation de précarité, « trop » subordonné à préserver quelques intérêts privés. Mais on pouvait raisonnablement penser que la situation d’épidémie constituait un seuil critique. Or, on découvre avec effarement, que même dans une situation d’urgence qui menace l’ensemble de la collectivité, le gouvernement ne peut assurer ce minimum, sur lequel se fonde a minima sa légitimité.
Le gouvernement n’a-t-il pas révélé son incapacité à penser les situations, dès qu’elles ne se rapportent pas strictement à l’Etat lui-même ?
- La police est intensément mobilisé pour contrôler (avec les abus qu’on a vus). Elle s’est montrée encore plus violente qu’à l’accoutumée en direction des quartiers populaires -5 morts dit-on- et de ceux qui manifestent leur mécontentement : retraits des banderoles, arrestations de manifestants le 1 mai.
Il eut été possible de prescrire à la police ou à l’armée, des missions qui ne soient pas strictement répressives : désinfecter des bus ou des lieux publics, par exemple (à l’instar de la Corée du sud), distribuer des masques dans les transports publics (Espagne, ou Portugal). Mais cela impliquait de considérer le transport quotidien des gens et assigner en conséquence à la police ou à l’armée, des objectifs positifs. N’y-a-t-il pas un lien entre contrainte, coercition et non protection, ou délégation de la protection ? Si l’Etat est affaibli dans sa capacité à régler positivement des situations pour les gens, cela n’a-t-il pas pour effet de le raidir, sur ce qui le structure, ou lui reste : la police, c’est à dire l’Etat, réduit à l’os ?
On peut même penser que l’aspect contraignant du confinement-très largement respecté- était à proportion de l’impensé de la situation des gens par le gouvernement. A contrario, par exemple, la Corée du Sud a pratiqué des distributions massives de masques, des dépistages systématiques, ainsi qu’un traçage électronique efficace avec un confinement très léger, la possibilité pour les gens de continuer à vivre normalement. En France, le confinement fut d’autant plus sévère que l’Etat n’a pas pensé la protection des gens, faute qu’il retourne : l’évolution de la situation dépendra du comportement des gens. Mais quand l’Etat demande au gens de « se protéger » ce n’est pas en complément de l’action de l’Etat, mais en lieu et place d’une action publique qui précisément fait défaut.
A l’inverse, les gens manifestent leur souci de la situation des gens. Ils ne s’occupent pas seulement de leur seule situation propre, individuelle, mais parfois également de celle de leur voisin, de leur quartier, ou de situations dont ils ont entendu parler : AC le feu organise des distributions alimentaires dans les quartiers, des jeunes qui portent les courses aux personnes âgées, des réseaux d’enquête sur la propagation du virus dans les foyers, CRA et prisons qui se constituent, un réseau d’aide d’intervention médicale en direction des foyers avec l’aide de Médecins sans Frontières se met en place. Les exemples sont infinis.
A mesure que l’Etat se déleste de ses prérogatives et enjoint aux gens, ou aux associations, de « se protéger eux-mêmes », les gens, des associations, prennent en charge des situations délaissées par l’Etat.
- Le gouvernement ne pense plus que l’Etat soit comptable de situations extérieures à lui-même, liées ou articulées à la vie quotidienne des gens (nourriture, soin, vie ordinaire…). Il refuse de distribuer des masques gratuitement à tous, mais demande aux gens de les confectionner, ou d’acheter des masques « grands-publics » et chirurgicaux.
Le gouvernement se déleste aussi de la responsabilité du transport des gens lorsqu’il enjoint aux directions de la RATP et de la SNCF d’organiser la protection sanitaire des transports pendant le dé-confinement. Lesquelles ont répondu par un courrier commun qu’elles n’en n’avaient pas les moyens et que la responsabilité incombait donc au gouvernement.
Bref, est-ce qu’il n’y a pas, dans cette période de parenthèse, un débat ouvert qui porterait sur 2 options :
1) Ou bien le gouvernement, au cœur de l’Etat, est directement et en premier lieu comptable et responsable, des fonctions protectrices de l’Etat pour les gens ?
2) Le gouvernement n’est pas entièrement responsable de la pensée et du traitement de la situation qu’il délègue : aux administrations, aux collectivités aux associations, aux gens. La question du transport dépend-elle des directions SNCF et RATP, qui manifestement n’en ont pas les moyens ? la protection des élèves incombe-t-elle aux maires et directeurs d’école ou aux parents ?
Le gouvernement semble indiquer qu’il n’est pas entièrement comptable de la vie des gens. Il semble même qu’il ait une difficulté à envisager des situations positives. Par exemple, il interdit l’accès aux forêts et aux plages qui permettraient aux gens de se promener, en respectant les mesures de distanciation sociale. Certes cette mesure de « bon sens » semble maintenant prise en compte, mais après de nombreuses revendications de maires. N’est-il pas significatif que le gouvernement n’y ait pas pensé avant ?
Si le gouvernement n’a pas anticipé l’achat de masques et de matériel de protection, n’a rien prévu pour faciliter les vie ordinaire des gens, il a largement anticipé, comme cela a été souvent noté, l’achat de LBD, de Drones, de menottes.
On peut comprendre des mesures contraignantes et leur généralisation, lorsqu’elles sont prescrites par l’urgence sanitaire, dans un souci de l’intérêt du commun. Mais interdire les promenades dans les forêts, quand les gens doivent aller au supermarché pour se ravitailler est un non-sens.
Le gouvernement n’est-t-il pas pris dans la logique d’un Etat, sans autre finalité et compétences, que celle d’un Etat réduit à l’os, strictement assigné à des fonctions répressives ou policières et qui se déleste en conséquence des fonctions positives de l’Etat à l’égard des gens, aux collectivités, associations..?
N’est-ce pas dans cet écart entre une politique réduite, l’Etat à l’os et une volonté populaire que l’Etat enregistre et traite les situations des gens, que l’on pourrait mettre des propositions en circulation ? Telles que :
- Le gouvernement doit assurer des moyens de subsistance à chacun, tant que les gens n’ont pas les moyens de subvenir à leurs propres besoins.
- Les loyers doivent être gelés, tant que les gens n’ont pas les moyens de les régler.
- Les contraintes du confinement doivent être strictement subordonnées à l’exigence sanitaire.