Seaulnem (avatar)

Seaulnem

Etudiant en Lettres et Sciences Politiques

Abonné·e de Mediapart

14 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 novembre 2024

Seaulnem (avatar)

Seaulnem

Etudiant en Lettres et Sciences Politiques

Abonné·e de Mediapart

Contourner l'État de droit, le rêve de la droite dure

Depuis quelques temps, la droite et l'extrême droite mettent le doigt sur un sujet qui les dérange : le pouvoir décisionnel final du conseil constitutionnel sur la promulgation de la loi. Redevenu d'actualité avec les propos tenus par Bruno Retailleau, nouvellement ministre de l'intérieur, sur l'état de droit, le sujet fait parler et cache en réalité une vérité bien plus grave.

Seaulnem (avatar)

Seaulnem

Etudiant en Lettres et Sciences Politiques

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Souvent critiqué à droite comme à gauche, et ce depuis sa création, le Conseil constitutionnel est sans nul doute l'une des instances les plus importantes de la Vème République. Composé de 9 membres, que l'on surnomme les sages, le Conseil s'assure du respect des règles étatiques cardinales, comme par exemple celles qui encadrent le déroulement des élections. Mais ce qui est le plus discuté, c'est qu'il s'assure également de vérifier la constitutionnalité des lois émises par les deux chambres. En effet, il arrive parfois qu'une loi proposée par le Parlement soit censurée (en partie ou complètement) en raison de son non-respect de la Constitution, principe basique de la hiérarchie des normes française. Pourtant, cette sorte de veto accordé aux sages de la rue de Montpensier fait débat. Mais le problème n'est pas tant les critiques des décisions de censure prises par le Conseil, qui se font d'ailleurs tout aussi bien à gauche (notamment lors du passage en force de la réforme des retraites) qu'à droite. Le vrai problème réside bel et bien dans la volonté de contournement ou de suppression de l'institution elle-même. Car oui, critiquer le Conseil constitutionnel revient plus ou moins à critiquer l'État de droit, qui constitue, on le rappelle, la base d'une démocratie saine. Mais alors, comment une idée si extrême a-t-elle bien pu se propager ?

Élargissement de la fenêtre d'Overton

D'abord subrepticement mise en avant dans le débat public par des partisans de l'extrême droite, cette idée s'est peu à peu décomplexée et est maintenant exposée par des personnalités politiques influentes comme Laurent Wauquiez. Président du Conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes pendant plus de 7 ans et nouvellement président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, l'ancien énarque mène depuis longtemps un combat sans pitié contre le Conseil constitutionnel et plus généralement contre les instances de l'État de droit. Il avait par exemple déclaré en 2023, dans une interview au Point, vouloir supprimer la "quasi-totalité" des autorités indépendantes en vue de débloquer une France trop bureaucratique et soumise aux juges des cours suprêmes qui "écartent la loi et ne permettent plus d'agir". Des propos clivants, mais qu'il n'a pas hésité à réitérer sous une forme différente lors de la censure partielle de la loi immigration de janvier 2024 par le Conseil constitutionnel. Il osait alors parler d'un "coup d'État de droit", bel oxymore au passage, et allait même jusqu'à proposer un référendum pour "contrôler l'immigration" et passer outre la décision des sages. Plus récemment, Bruno Retailleau s'est quant à lui affranchi de tout euphémisme en déclarant ouvertement dans la presse que l'État de droit n'était pas "intangible ni sacré". Pour lui, seule la volonté du peuple devrait primer. Des propos qui ont tout de suite fait réagir la quasi-totalité de la classe politique, du moins celle qui avait fait partie du "front républicain" lors des élections législatives de juin dernier. Cela en dit long sur les partis en accord avec ces déclarations.

S'affranchir de la norme suprême : quelles conséquences ?

Ainsi, même s'ils ne sont pas les seuls à raisonner de cette manière (il reste important de les prendre pour exemple, car ils ont une certaine portée politique, un président de parti et un ministre), les propos tenus par ces deux hommes nous permettent enfin de toucher le fond du problème : à savoir ce que protège l'État de droit qu'ils veulent contourner. Pour que cela soit plus parlant, je vous propose que nous prenions un exemple avec le Conseil constitutionnel, directement relié à la notion d'État de droit. Imaginons ainsi que ce Conseil puisse être contourné par un ultime vote du Parlement en aval de sa décision de censure. Les sages auraient alors seulement pour fonction d'alerter à propos de l'inconstitutionnalité de la loi, mais ne rendraient plus de décision finale, puisque leur censure pourrait être contournée par un nouveau vote du Parlement. Rappelons ensuite que cette annulation de la censure du Conseil se ferait certes par les deux chambres, mais au nom de la majorité du peuple. Les citoyens français ayant élu le Parlement, si celui-ci décide de promulguer une loi, aucun organe indépendant n'est censé se mettre en travers de sa route, puisque cela reviendrait à renier la souveraineté populaire. C'est ici la thèse finale de Bruno Retailleau : si la majorité des Français veulent une réforme, il faut la mettre en place, qu'elle soit inconstitutionnelle ou non.

Le problème de ce raisonnement, c'est qu'en plus d'être populiste au possible, il pose un sérieux problème pour les minorités. En effet, si le monde politique était tel quel, une majorité de Français représentée par le Parlement élu pourrait décider d'opprimer une quelconque minorité, comme les immigrés par exemple. Le plus grave, c'est qu'il n'y aurait plus aucun rempart à l'émission de lois factuellement discriminatoires et contraires aux valeurs de la République, qui sont écrites noir sur blanc dans notre Constitution. À ce stade, tout le monde devrait comprendre que les propos rapportés par ces deux personnalités politiques ne sont pas anodins, mais pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus, je vous propose d'extrapoler un peu l'exemple. Revenons ainsi à un système où il n'y aurait plus aucune barrière à la promulgation de lois ouvertement inconstitutionnelles, puisque plus de Conseil pour s'en prémunir. Dans ce système, une majorité de parlementaires élus pourraient, par exemple, promulguer une loi obligeant les immigrés à laisser leur place aux "vrais" Français dans le bus. Pire encore, ils pourraient voter une loi interdisant aux immigrés de fréquenter certains lieux publics comme les cafés ou les parcs. Tout cela sans que personne ne puisse l'en empêcher, puisque cette majorité parlementaire se serait constituée grâce à la majorité du peuple votant. Cette situation, correspondrait en fait a une sorte d'état semi démocratique, dans lequel le résultat des urnes est respecté à la lettre, mais où les droits et libertés ne sont pas garantis. 

En abusant ainsi de l'exemple (je ne dis évidemment pas que Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez prévoient de faire tout cela), j'ai tenté de vous montrer ce que pourrait engendrer un État de droit fragilisé, voire supprimé. Alors, la prochaine fois qu'un politique vous parle d'État de droit ou de Conseil constitutionnel, quel que soit le sujet, tendez l'oreille.

Meaulnes Paris 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.